Livestock Research for Rural Development 27 (8) 2015 Guide for preparation of papers LRRD Newsletter

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Amplitude de la mobilité au Tchad central et son influence sur la productivité et l’exploitation du bétail

A B Béchir, K Mian-oudanang1, P Grimaud2 et S Aubague3

Université des Sciences et de Technologie d'Ati; BP 9957, Ati (Tchad)
1 Institut de Recherche en Elevage pour le Développement BP 433 N’Djamena (Tchad)
2 Centre International en recherche Agronomique pour le Développement
3 Care Danemark BP 10155 Niamey (Niger)
koussou59@yahoo.fr

Résume

L’objectif de l’étude est de vérifier la latitude septentrionale atteinte par les transhumants lors des 50 dernières années et son influence sur la productivité et l’exploitation du bétail. Une enquête transversale rétrospective doublée d’un suivi de 9 unités de transhumance ou dayné d’éleveurs de la tribu arabe Missirié a été réalisée pendant la saison des pluies et la saison froide de 2010. 

 

Ces éleveurs pratiquaient surtout l’élevage des bovins ou des dromadaires souvent associé aux petits ruminants, en effectif variant avec l'amplitude de la transhumance. Principale constatation, la latitude atteinte à la remontée ne dépend pas uniquement de la pluviométrie, puisque de nombreux dayné sont restés au sud pendant la saison des pluies de 2010, malgré des précipitations plus favorables qu’en 2009. D’autres facteurs interviennent, notamment l’état corporel du bétail, la date de remplissage des cours d’eau et la latitude de départ. En général, ce sont les éleveurs de dromadaires qui atteignent les latitudes les plus septentrionales mais ces grands transhumants sont les plus vulnérables en raison de leur éloignement des marchés. Sur le plan méthodologique, l’étude a montré que les conséquences sur la vulnérabilité peuvent bien être abordées par une approche historique de la mobilité des différents dayné. Cependant, dans le cas de la présente étude, la taille réduite de l’échantillon due aux difficultés d’accès aux dayné en pleine saison des pluies dans le Batha a rendu difficile une analyse plus globale des résultats obtenus entre les campements bloqués au sud du fleuve Batha et ayant accédé aux pâturages du Nord Batha pendant l’hivernage.

Mots-clés: dayné, latitude, vulnérabilité, bovin, ovin, caprin, dromadaire, transhumance



Amplitude mobility in central Chad and its influence on productivity and livestock management

Abstract

The objective of the study is to verify the Northern latitude got by transhumant breeders during the last 50 years and its affect on the productivity and livestock management. A retrospective transverse research doubled with a monitoring of nine transhumance units or dayné constituted by breeders of the Arabic tribe Missirié has been realized during the rainy and the cold season of 2010.

 

These breeders mainly practiced cattle or camels often coupled with the small ruminants in a varying effective the vastness transhumance. First observation, the latitude reached does not depend only on rainfall, because of many dayné which stayed on the south during the rainy season of 2010, despite the most favorable rainfall in 2009. Other factors intervene, in particular the cattle body condition, the date of river filling and the departure latitude. Generally, it is the camel breeders who reach the latitudes the most northern but these great transhumant breeders are the most vulnerable because of their distance from markets. Methodologically, the study showed that the consequences of vulnerability can be well addressed by a historical approach of the mobility of the various dayné. However, in the case of this study, the reduced size of the sample due to difficulties to access to dayné in the rainy season in Batha has made difficult an analysis more global of the results obtained between the camps blocked in the south of river Batha and those who acceded to North Batha pasture during the rainy season.

Keywords: dayné, latitude, vulnerability, cattle, sheep, goats, camels, transhumance


Introduction

Au cours des millénaires, les pasteurs ont développé des stratégies de sécurisation adaptées aux conditions climatiques difficiles des milieux semi-arides et à la dispersion des ressources pastorales (Behnke et Scoones 1993 ; Ancey et al 2009 ; Aubague et al 2011). L’une d’elles est une constante des systèmes pastoraux en raison de son importance : il s’agit de la mobilité des pasteurs et des troupeaux (Leclerc et Sy 2011). Le pastoralisme, système de production et mode de vie, est qualifié de phénomène social (Hugot 1997 ; Clanet 1999). Les types de mobilité pastorale sont très diversifiés, car ils sont modulés par des facteurs liés aux ressources naturelles, à la topographie, à la santé du bétail, et à des choix sociaux ou stratégiques (Basset et Turner, cités par Leclerc et Sy 2011). Au Tchad, l’élevage pastoral concerne 80% des effectifs totaux de ruminants (Morovitch 2000; Barraud et al 2001). Les éleveurs se déplacent en unités de transhumance plus ou moins stables et importantes, et parcourent dans l’année des distances parfois très grandes, de plus de 700 km (Aubague et al 2011). Ces déplacements obéissent à des lois séculaires et participent totalement de l’économie et du tissu social du pays. Les populations pastorales restent donc très tributaires des aléas climatiques, qui les rendent vulnérables à la pauvreté et à l’insécurité alimentaire (Baroin et Wiese 2004; Wiese et al 2008).

 

L’augmentation en nombre des populations humaines et animales et l’appropriation croissante de terre par les sédentaires diminuent la mobilité des pasteurs et provoquent des crises dont l’intensité grandissante se traduit par des conflits entre agriculteurs et éleveurs (Pabamé 2010 ; Aubague et al 2011). Or ces contraintes à la mobilité des pasteurs entraînent une dégradation significative de leurs conditions de vie.

 

Les acteurs de la sécurité alimentaire n’ont à ce jour pas d’indicateurs précis d’alerte répondant aux problématiques et stratégies spécifiques des populations pastorales, alors qu’ils en possèdent pour les populations agricoles. Des indicateurs de sécurité alimentaire reconnus existent en milieu pastoral. Dans le Tchad central et oriental, les éleveurs ont pour habitude de juger de la qualité de l’hivernage en s’informant sur la latitude atteinte par le front des pluies. Pour cela, ils se réfèrent aux grands ouaddis (cours d’eau temporaires) qui traversent d’est en ouest le pays. « Cette année, est ce qu’il a plu jusqu’au fleuve Batha, au Ouaddi Djeddid, au Ouaddi Rimé ou au Ouaddi Kharma ? ». L’étude se propose donc de vérifier si la latitude septentrionale atteinte par les transhumants lors des 50 dernières années a une influence sur la productivité et l’exploitation du bétail.


Matériel et méthode

La zone d’étude

 

L’étude a été conduite dans le Tchad Central entre la zone d’attache septentrionale des éleveurs située dans la région du Batha et leur zone de séjour de saison sèche, au sud, dans la région du Guéra et les plaines du Salamat (Figure 1). Le climat est de type sahélien à sahélo-soudanien avec une saison sèche qui s’étale d’octobre à mai et une saison sèche qui va de juin en septembre. La pluviométrie varie de 300 à près de 800 mm du nord au sud. Pouvant atteindre 45°C au mois de mai à la fin de la saison sèche, les températures oscillent entre 12 et 27°C en décembre et février. La végétation suit le gradient pluviométrique et se présente sous la forme de steppes arbustives à épineux, puis de forêt claire en passant par la savane arborée ou arbustive.

Figure 1. Localisation de la zone d’étude

La zone centrale ou Tchad central a été choisie en collaboration avec l’Association des Chefs Traditionnels du Tchad (ACTT) pour diverses raisons : (i) sa représentativité : elle est la principale zone de concentration de bétail de transhumance ; (ii) son accessibilité : elle est traversée par de nombreuses routes et pistes pour la plupart, praticables en toute saison ; (iii) sa documentation : elle est marquée par l’existence des résultats des travaux d’identification systématique des axes de transhumance et des chefs de dayné mené par le Projet Almy al Afia en 2005 et en 2006; (iv) par rapport aux autres zones, elle bénéficie d’une relative sécurité en raison de sa position centrale qui l’éloigne des frontières nationales.

 

Identification et caractérisation des unités de transhumance ou « dayné »

 

Mission d’exploration pour le choix des unités

 

Des informations sur le positionnement des unités de transhumance (dayné) ont été obtenues grâce à des entretiens avec les autorités administratives, coutumières et les représentants des chefs de canton d’origine des transhumants (khalifa). Ces derniers ont ensuite servi de guide lors des descentes sur le terrain pour des missions d’investigation et de sensibilisation des responsables des dayné relevant de leur tribu. Les échanges avec les responsables des dayné ont porté sur: l’histoire de la tribu, le canton d’attache, les zones de séjour de saison sèche et de saison des pluies, le trajet suivi et sa durée, le nombre de ménages constituant le dayné et leur degré d’alphabétisation.

 

Choix d’unités de transhumance ou « daynés »

 

Après plusieurs missions d’investigation et de sensibilisation auprès d’une cinquantaine d’unités de diverses origines, le choix a porté sur les unités de transhumance appartenant à la tribu des Missirié (rouge et noir). Les raisons de ce choix sont d’une part, la diversité de leur amplitude de transhumance en saison sèche (grands, moyens et petits transhumants) et d’autre part, la taille (nombre de têtes de bétail) et la composition de leurs troupeaux (éleveurs mixtes, bouviers, chameliers ou moutonniers). Dans ce groupe, un dayné se compose de plusieurs ménages rattachés à différents khashimbeyt ou famille. Il se forme au début de la saison des pluies, au moment de la remontée vers le Nord, et se maintiendra jusqu’à la redescente en zone de séjour de saison sèche. Il est avant tout une unité d’auto-défense ; les éleveurs lors de leur déplacement ne se sentent en sécurité que s’ils sont nombreux. En suivant un chef de dayné, on peut donc suivre un nombre important d’animaux et récolter un grand nombre d’informations.

 

Formation à l’utilisation du GPS

 

Onze (11) éleveurs alphabétisés en langue arabe issus de différents dayné, ont été formés à l’utilisation  d’un GPS. Au cours de cette formation, l’accent a été mis sur les fonctions essentielles de l’appareil : (i) la mise en route/arrêt, le réglage de la luminosité, la réception satellitaire ; (ii) la création et la sauvegarde d’une coordonnée GPS avec la prise de notes dans un cahier bien tenu à cet effet. Ils ont également été largement sensibilisés sur la nécessité de bien gérer cet outil qui ne doit pas être confondu avec d’autres appareillages classiques des transhumants (téléphone portable, poste radio, etc.). A la fin de la formation, un test d’aptitude à l’utilisation du GPS a été organisé.

 

Choix définitif porté sur 9 unités de transhumance : acceptation du protocole

 

Sur les onze (11) éleveurs formés à l’utilisation du GPS, neuf (9) ont été retenus pour avoir manifesté un intérêt pour l’étude et accepté le protocole proposé. Afin de suivre les mouvements des dayné au cours des six mois (juillet à décembre) de l’année 2010, ils ont été dotés définitivement, en plus du GPS, d’un téléphone portable solaire permettant de les rejoindre à rythme régulier (chaque mois, après appel téléphonique pour une localisation) pour récupérer les données relevées par les GPS et réaliser  des entretiens.

 

Les enquêtes de terrain

 

Les familles (Kashymbeyt, pluriel Kashymbiout) constitutives des unités de transhumance retenues ont été interrogées sur la base d’un guide d’entretien afin d’obtenir : (i) des informations d’ordre sociodémographique sur les ménages (répartition selon le sexe, l’âge, la taille des ménages, le niveau de scolarisation, …) ; (ii) la taille et la composition du troupeau (iii) enfin l’amplitude des déplacements.

 

Afin d’obtenir des données qualitatives sur l’historique de leurs mouvements pastoraux, les responsables des unités de transhumance assistés de quelques personnes âgés ont été interrogés selon une méthode rétrospective leur permettant de retracer l’amplitude de leur remontée au cours des cinquante,desdix dernières années et des deux dernières années.

 

Les indicateurs de vulnérabilité

 

Afin de mettre en évidence l’impact de la crise de 2009 et de 2010 sur les performances zootechniques, les prix du marché et l’exploitation du troupeau, une enquête a été menée auprès des familles d’éleveur. Pour chaque famille, un questionnaire quantitatif a été rempli sur la base du discours des éleveurs et de leurs épouses. Le questionnaire administré comporte quatre groupes d’indicateurs de vulnérabilité avec plusieurs critères :

Analyse et traitement des données

 

Les données ont été saisies et traitées grâce au logiciel Excel. L’analyse des paramètres de remontée des campements s’est faite suivant quatre (4) pas de temps : les 50 dernières années ; les 10 dernières années ; les deux dernières années ; et enfin les six derniers mois. Dans l’analyse des données des dix dernières années, on s’est attaché à vérifier si la latitude Nord atteinte par les différents campements au cours des dix dernières années est proportionnelle à la pluviométrie. Pour ce faire, les données du cumul pluviométrique annuel relevées par la station d’Abéché entre 2001 et 2010 ont été mises à contribution. Pour mettre en évidence l’influence de la mobilité sur la vulnérabilité des éleveurs, dix indicateurs de vulnérabilité ont été comparés entre l’année 2010 et une année de référence dite « normale ». L’année normale correspond à une année indéfinie qui  est une année moyennesur le plan de la pluviométrie par exemple.


Résultats

Caractéristiques socio-démographiques des dayné

 

Les 9 dayné étaient constitués d’éleveurs de la tribu Arabe Missérié dont cinq appartenaient au groupe des Missérié noirs (62,5%) et quatre au groupe des Missérié rouges (37,5%). Chaque dayné comptait 9,4±4,6 ménages dirigés par des hommes dont la moyenne d’âge était 42,4±0,5 ans. La plupart des ménages était polygame (63%) et comptait en moyenne 8,3±1,6 personnes (Tableau 1). Moins d’un chef de ménage sur deux (40%) savait lire et écrire en Arabe.

Tableau 1: Caractéristiques des dayné suivis

Groupe

Type

Zone de fixation

Canton d'attache

Amplitude transhumance

Bovins

Camelins

Spéculations

Grands transhumants

Mixte

1

Batha

Missérié rouge.

Batha Salamat

4

10

Décrue + pluvial

2

Guéra

Missérié noir

Batha Salamat

12

12

Pluvial

3

Aucune

Missérié rouge

Batha Salamat

15

40

Aucune

Bouviers

4

Salamat

Missérié noir

Batha Salamat

15

0

Décrue, jardin

5

Aucune

Missérié noir

Batha Salamat

10

0

Aucune

Moyens transhumants

Mixte

6

Batha

Missérié rouge

Batha Guéra

9

2

Pluvial

Bouviers

7

Batha

Missérié noir

Batha Guéra

9

0

Pluvial

Petits transhumants

Bouviers

8

Batha

Missérié noir

Batha

1

0

Pluvial+ Décrue

9

Guéra

Missérié noir

Guéra

ND

ND

Pluvial

Moyenne

9,4

16

Maximum

15

40

 

Minimum

1

2

Plus de la moitié des dayné est spécialisée dans l’élevage des bovins. Les éleveurs de dromadaires ont représenté près de 27%. Le reste possèdent des troupeaux mixtes (bovins et dromadaires ; bovins et petits ruminants ou encore dromadaires et petits ruminants). La taille des troupeaux de bovins ou de dromadaires à l’intérieur d’un dayné est très variable (Tableau 1).

 

Typologie des dayné 

 

Les 9 dayné suivis se répartissent en trois (3) grands groupes selon l’amplitude de transhumance :

 

Les grands transhumants

 

Ils forment la majorité des dayné (5/ 9) et possèdent des troupeaux mixtes ou uniquement des bovins. Ils appartiennent au groupe des Missérié rouges (2/5) et noir (3/5). Une partie de la famille des grands transhumants séjournent en saison des pluies (juillet à septembre) dans leur zone d’attache située dans le Batha (1/5), dans le Guéra (1/5) ou le Salamat (1/5) pendant que les troupeaux transhument dans le Batha. Certaines restent sans attache fixe (2/5). En saison sèche (octobre à juin), ils descendent tous vers la région du Salamat et parfois plus au sud dans le Moyen Chari.

 

Les moyens transhumants

 

Ils sont représentés par deux dayné sur 9 dont l’un est constitué d’éleveurs de bovins et l’autre d’éleveurs de bovins et de dromadaires. Leur lieu de résidence en saison pluvieuse est la région du Batha. En saison sèche, ils effectuent des déplacements de moyenne amplitude qui les conduit dans la région voisine du Guéra.

 

Les petits transhumants

 

Ils forment le groupe de dayné qui effectue des déplacements de faible amplitude à l’intérieur de leur région d’attache : le Batha ou le Guéra (2/9).

 

Globalement, les deux tiers des dayné (6/9) cultivent des céréales dans leur zone de séjour de saison des pluies, soit au Batha pour les petits transhumants, jusqu’au Guéra pour les moyens et au Salamat pour les grands. Certains ont même accès à des terres de culture de décrue sur les lits d’anciennes mares du Batha ou le long des cours d’eau du Salamat. Seuls deux campements résistent à l’idée de se fixer et préfèrent se spécialiser dans l’élevage plutôt que de se diversifier dans l’agriculture.

 

 

Les paramètres de la remontée

 

Analyse rétrospective

 

Le tableau 2 indique les latitudes maximales et minimales atteintes par les différents dayné selon les années, en saison des pluies et en saison sèche, sur les 50 dernières années. Il ressort globalement que :

La saison sèche de l’année 2010 a été marquée par un important déficit fourrager consécutif à une pluviométrie insuffisante en 2009. Aucun des 9 campements suivis n’a pu traverser le fleuve Batha en raison de l’incapacité des animaux de marcher après une saison sèche difficile sur le plan alimentaire, et ce, malgré une pluviométrie plus favorable pendant la saison des pluies de 2010.

Entre 2001 et 2007, la latitude moyenne atteinte par les différents campements a été proportionnelle au cumul pluviométrique annuel (autour de 0,04 °N/mm). Le ratio latitude/pluviométrie chute en 2008 (0,025°N/mm) puis explose en 2009 (0,106°N/mm).

Tableau 2: Ratio de latitude moyenne atteinte par les différents groupes suivant l’année

Groupe

Type

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

Moyenne

Moyenne groupe

Grands
transhumants

Mixtes

1

13

16

13

13

13

13

13

13

13

12

13,2

13,2

2

15

14

14

13

13

14

15

14

13

12

13,6

3

12

13

12

12

12

13

13

15

15

12

12,9

Bouviers

4

13

13

15

11

11

11

11

11

13

13

12,2

12,6

5

13

13

13

13

13

13

13

13

13

13

13,0

Moyens
transhumants

Mixtes

6

13 ,5

15

15

15

15

14.5

14

13.5

13.5

13

14,4

14,4

Bouviers

7

13

13

13

13

12

13

14

12

14

13

12,9

12,9

Petits
transhumants

Bouviers

8

14

14

14

14

13

13

13

15

13

13

13,4

13,4

9

13

13

13

13

13

13

13

12

12

12

12,5

12,5

Latitude moyenne °N

13,2

13,6

13,4

12,9

12,7

12,8

13,1

13,0

13,2

12,6

13,0

Pluviométrie Abéché

313

370

371

368

347

275

328

530

124

224

325

Ratio Latitude//Pluviométrie

0,042

0,037

0,036

0,035

0,037

0,046

0,040

0,025

0,106

0,056

0,040

L’analyse du tableau 2 montre que :

Sur les deux dernières années (2009 et 2010)

 

En 2009, les campements des grands transhumants mixtes et bouviers ont pu remonter vers le Batha. Par contre en 2010 malgré un regain de pluviométrie, à l’exception d’un, ils sont tous restés bloqués au Guéra.

 

Les deux campements moyens transhumants ont adopté des stratégies totalement différentes. L’un constitué d’éleveurs de bovins  n’a pas transhumé en saison sèche pour être sûr de passer la saison des pluies dans le Batha tandis que l’autre renfermant des éleveurs mixtes est descendu dans le Guéra puis le Salamat avant de remonter vers le Batha en saison des pluies.

 

Les petits transhumants ont réduit au strict minimum leurs déplacements pendant ces deux années de crise préférant rester à proximité de leur zone d’attache pour cultiver pendant la saison des pluies.

Sur le dernier semestre de l’année 2010 (d’août à décembre 2010), seuls 4 campements sur les 9 dayné suivis ont réussi à remonter au nord du fleuve Batha. Il s’agit d’un campement de grands transhumants bouviers, de moyen transhumant mixte, de moyen transhumant bouvier et de petit transhumant. Les autres sont restés bloqués au sud dans la région du Guéra.

 

La vulnérabilité

 

Dix indicateurs de vulnérabilité obtenus pour l’année 2010 ont été comparés à ceux d’une année de référence dite « normale » (Tableau 3). La variation de ces indicateurs  pour chacun des groupes par rapport à la moyenne globalea permis de mettre en évidence l’influence de la mobilité sur la productivité des troupeaux, l’état corporel des animaux ainsi que l’alimentation des éleveurs.

 

Influence de la mobilité sur la productivité et l’exploitation du bétail

 

Globalement, la mortalité des animaux entre 2010 et une année normale a augmenté de plus de 650% quelle que soit l’espèce animale (Tableau 3). Toutefois, une mortalité des bovins légèrement supérieure à la moyenne a été observée chez les grands transhumants. Ces derniers  ont en revanche relativement perdu moins de dromadaires que les éleveurs des autres groupes. Les mise-bas ont chuté d’environ 75% chez les bovins et de 70% chez les dromadaires. Toutefois, cette dernière espèce semble avoir moins souffert de la baisse de la fécondité chez les grands et moyens transhumants. Le prix des céréales a été multiplié par trois tandis que celui des animaux a chuté de près de 2/3 pour les bovins et de plus la moitié pour les dromadaires. Par conséquent, les éleveurs ont vendu plus d’animaux (+160% pour les bovins et +120% pour les dromadaires) pour satisfaire leurs besoins domestiques. En effet, les grands transhumants mixtes sont apparus comme les plus vulnérables. En raison de l’éloignement de leur campement des centres urbains, ils ont éprouvé de réelles difficultés pour s’approvisionner sur les marchés. Ils ont subi en conséquenceune inflation du prix des céréales supérieure de 40% et une déflation du prix des bovins supérieure de 21% à la moyenne. Les grands transhumants bouviers qui ne s’éloignent pas trop des marchés ont mieux maîtrisé les prix. La hausse de la mortalité a été plus importante que la moyenne chez les moyens transhumants, (+131% pour les bouviers et +152% pour les chameliers) malgré des dépenses en intrants plus importantes chez les grands transhumants bouviers que pour les autres groupes (+21%). Par contre, ils ont eu mieux accès aux marchés que les grands transhumants.

Tableau 3: Variation (%) des indicateurs pour chacun des groupes par rapport à la moyenne globaledes taux de variation de ces mêmes indicateurs entre 2010 et une année normale

Indicateur

Moyenne

GT Mixte

GT Bovins

MT Mixtes

MT Bovins

PT Batha

PT Guéra

Mortalité/100 bovins

678

13

22

-85

131

-13

62

Mortalité/100 camelins

656

-39

152

-28

22

Misebas/100 bovins

-75

-15

0

13

-17

6

18

Misebas/100 camelins

-71

-16

-15

18

34

Prix céréales en saison sèche

200

40

0

0

-7

0

-30

Prix bœuf en saison sèche

-64

21

2

-21

-6

-6

5

Prix dromadaire saison sèche

-56

8

-15

18

-11

Vente/100 bovins

161

81

59

-29

-38

Vente/100 dromadaires

121

28

-11

Dépense intrants/an/troupeau

209

-26

21

-71

-12

GT = Grands transhumants ; MT= Moyens transhumants ; PT = Petits transhumants

Concernant les petits transhumants, le campement suivi dans le Batha s’en est mieux sorti  que celui du Guéra. Ce dernier, malgré une inflation plus modérée du prix des céréales a subi une augmentation de la mortalité et une baisse des mises-bas plus importantes.

 

Influence de la mobilité sur l’alimentation

 

L’analyse du tableau 4 montre que la situation alimentaire des ménages s’est globalement dégradée au cours du dernier trimestre de l’année 2010. Les ménages des petits transhumants ont été les plus affectés. Chez les grands transhumants, un seul campement a connu une dégradation brutale de sa situation alimentaire.

Tableau 4: Résultats du suivi de l’alimentation des ménages au dernier trimestre 2010

 

 

 

Septembre 2010

Novembre 2010

Groupe

Type

Zone de fixation

Effectif 11/2010

Consommation alimentaire acceptable (%)

Nb repas habituel pour 6-14 ans

Nb repas habituel pour adultes

Effectif 06/2010

Consommation alimentaire acceptable (%)

Nb repas habituel pour 6-14 ans

Nb repas habituel pour adultes

GT

Mixtes

Batha

2

100

2

2

5

80

2

2

Guéra

6

83,3

1

2

5

100

1

1

Aucune

0

-

-

-

2

50

2

2

Bouviers

Salamat

0

-

-

-

5

100

2

2

Aucune

2

100

0

2

0

-

-

-

MT

Mixtes

Batha

1

100

0

2

5

80

2

2

Bouviers

Batha

3

100

0

2

3

33,3

1

1

 PT

Bouviers

Batha

1

100

2

2

1

0

3

2

Guéra

2

100

1

2

0

-

-

-

GT = Grands transhumants ; MT= Moyens transhumants ; PT = Petits transhumants ; NB = nombre

 

Influence de la mobilité sur l’état corporel des animaux

 

Une forte proportion de bovins (59%) ayant un mauvais état corporel a été observée chez les troupeaux de grands transhumants. Par contre, chez les moyens et les petits transhumants, plus des 2/3 des bovins présentaient un état corporel jugé meilleur (Figure 2).

Figure 2. Appréciation de l’état corporel des bovins (notationde 1 à 5)
GT = Grands transhumants ; MT = Moyens transhumants ; PT = Petits transhumants

Les pertes de poids ont été globalement moins importantes chez les dromadaires (Figure 3). Quel que soit le groupe considéré, plus de 60% des animaux de cette espèce ont été jugés en très bon état corporel.

Figure 3. Appréciation de l’état corporel des dromadaires (notation de 1 à 5)
GT = Grands transhumants ; MT = Moyens transhumants ; PT = Petits transhumants


Discussion

Sur les 50 dernières années, les grands transhumants, surtout les chameliers ont éprouvé de plus en plus de difficultés à remonter au nord du fleuve Batha, malgré la construction d’un pont à Oum Hadjer depuis 2006. Plusieurs raisons ont été évoquées notamment la distance à parcourir, la présence des cultures le long du passage ou des gués et l’insécurité. Certains groupes y arrivent malgré tout, épuisés depuis le Salamat où ils séjournent en saison sèche. D’autres ont même cessé de traverser le fleuve et ont pris pour habitude de cultiver en saison des pluies dans le Sud Batha. Les campements spécialisés dans l’élevage des bovins sont de plus en plus nombreux à combiner la culture du sorgho de décrue en début de saison sèche (novembre/décembre) et la transhumance de saison sèche.

 

Sur les trois dernières années, le ratio latitude maximale sur pluviométrie a considérablement varié. Il a connu une chute en 2008 en raison probablement d’une bonne pluviométrie localisée dans les montagnes d’Abéché (530 mm) alors que plus à l’ouest dans le Batha (zone d’étude), un manque de pluie a été constaté de façon généralisé (autour de 350 mm). La hausse du ratio en 2009 témoigne d’un risque important consécutif à une remontée sans pluie. En effet, les éleveurs pensant que le pire était derrière eux étaient remontés jusqu’au niveau du fleuve Batha (voir pour deux d’entre eux plus au nord) à la faveur de pluies précoces mais celles-ci se sont brutalement estompées au mois d’août. Le bétail s’est retrouvé ainsi exposé, une fois arrivé au Nord, à un déficit fourrager important. La redescente en zone agricole est alors précipitée par le manque d’eau le long du parcours. Les risques de conflit entre agriculteurs et éleveurs transhumants sont également élevés. En 2010, malgré une amélioration de la pluviométrie, les éleveurs ont été prudents, d’autant que leur bétail était épuisé après une saison sèche difficile. Leur lente remontée a engendré une baisse du ratio et un retour à une situation plus proche de la moyenne (0,056°N/mm). Les petits transhumants ont réduit au strict minimum leurs déplacements pendant ces deux années de crise préférant rester à proximité de leurs zones de fixation et des champs pour maximiser leur chance de cultiver et de profiter des résidus de cultures.

 

Finalement, la latitude atteinte à la remontée ne dépend pas uniquement de la pluviométrie. D’autres facteurs interviennent notamment, l’état corporel du bétail, la date de remplissage des cours d’eau et ouadis et la latitude de départ. En effet, l’état corporel et sanitaire du troupeau bétail détermine son aptitude à se déplacer rapidement sur de longues distances. Autrement dit, si une année est médiocre et qu’en fin de saison sèche les animaux sont trop affaiblis ou malades, il se peut qu’ils ne puissent pas remonter au nord même si la pluviométrie est bonne. La date de remplissage des cours d’eau temporaire (Ouadis, Barh Azoum et Batha) a son importance car même s’il pleut abondamment et que les animaux sont bien nourris, ils peuvent en cas de crue précoce se retrouver bloqués au sud des fleuves contre leur volonté. Or cette date est imprévisible. Enfin, la latitude de départ détermine la distance à parcourir. Les grands transhumants chameliers qui séjournent en saison sèche au Salamat éprouvent plus de difficultés à remonter au Nord Batha que les moyens transhumants bouviers qui partent du Guéra voisin.

 

La mobilité a affecté de façon variée les différents groupes ainsi que les espèces animales. Le fort taux d’animaux en mauvais état corporel enregistré chez les grands transhumants durant l’hivernage 2010 s’explique par le grand nombre de dayné (3/5) qui ont été obligés de passer la saison des pluies de 2010 à hauteur du 12°N dans une zone humide infestée d’insectes piqueurs, de tiques  et de divers autres parasites, leurs animaux étant incapables de marcher vers le nord après une saison sèche très éprouvante.

 

Les dromadaires ont perdu moins de poids probablement grâce à la disponibilité des fourrages ligneux le long des parcours qui a permis un maintien assez remarquable de l’état corporel de ces types d’animaux. Ce bon état corporel peut s’expliquer également  par la plus grande capacité de résistance des dromadaires à la soif mais aussi par leur effectif réduit dans certains campements. Cette résistance explique la volonté à une reconversion à l’élevage camelin exprimée par certains dayné. Toutefois, les difficultés de mobilité rencontrées par certains campements ont également eu des répercussions sur les performances corporelles des dromadaires chez lesquels de mauvaises notes ont été observées.Si on considère la grande variabilité de la taille des troupeaux à l’intérieur d’un dayné, nous convenons que les 9 unités de transhumance suivies au cours de cette étude ne sont pas représentatives de l’ensemble des dayné. Toutefois, les difficultés seraient encore plus importantes lorsqu’il s’agira de suivre des troupeaux de très grande taille.


Conclusion


Remerciements

Les auteurs adressent leurs vifs remerciements au service de coopération et d’action culturelle et de l’ambassade de France au Tchad pour son appui financier, aux responsables des dayné et aux khalifa pour leur collaboration.


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Received 31 May 2015; Accepted 5 July 2015; Published 1 August 2015

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