Livestock Research for Rural Development 22 (11) 2010 | Notes to Authors | LRRD Newsletter | Citation of this paper |
Les circuits empruntés par le lait, souvent qualifiés d’informels par les pouvoirs publics, se révèlent au vu d’une enquête auprès des différentes catégories d’éleveurs présents dans les deux basins de haut et moyen Chéliff, très dynamiques et drainent des quantités importantes de lait allant jusqu’à 25 % de la production de la région. L’enquête montre les types d’interférence existant entre les circuits formels et informels, traduisant ainsi leur complémentarité.
Dans ce contexte justement , le système informel apparait comme un véritable système d'organisation économique et social dans la mesure où il arrive à assurer une coordination mixte dépassant le marché ponctuel en formant des accords réciproques basés beaucoup plus sur la confiance et des relations contractuelles orales malgré une incertitude accrue sur la sécurité sanitaire du consommateur.
Mots-clés: Algérie, arrangement contractuel, Cheliff, exploitation laitière
The traffic pattern of milk, often described as informal by the public authorities, is proved in a survey to represent different types of breeders in both the high and medium basin of Cheliff. It is very dynamic and drains large quantities of milk up to 25% of production in the region. The survey shows the types of integration between the formal and informal channels, reflecting their complementarities.
In this precise context , the informal system appears to be a real system of social and economic organization by ensuring coordination with the traditional market by forming reciprocal agreements based on trust and contractual oral relationships despite some uncertainty about the effects on the safety of the consumer.
Keywords: Algeria, Cheliff, contractual arrangement, dairy farm.
Le développement de l'élevage laitier en Algérie s'est réalisé jusqu'à nos jours dans un cadre relativement protégé et avec l'appui de l'État (importations des génisses, développement rural, subventions de certains intrants, prix administrés pour les outputs, etc.). Dans ce cadre protégé, la production laitière a connu de profondes mutations, qui se sont traduites par l'augmentation du nombre d'exploitations, notamment par le gonflement du nombre des micro-exploitations , 68,8 % des exploitations ayant moins de 5 ha (Bedrani1999) et l’émergence d’une catégorie d’éleveurs spécialisée avec le plan national de développement agricole.
La production laitière est assurée en grande partie (plus de 80 %) par le cheptel bovin, (Bencharif 2001), dont l’effectif est d’environ 1 190 000 vaches (Ministère de l’agriculture 2004); le reste est constitué par le lait de brebis et le lait de chèvre. L’élevage bovin ne constitue pas un ensemble homogène (Yakhlef1989).
L’élevage bovin laitier est réparti en trois catégories : le système de production dit « bovin laitier moderne (BLM), le système de production « extensif » dit « bovin laitier Amélioré (BLA) et le cheptel local qualifié de « bovin laitier local »(BLL). Le premier système utilise un cheptel importé, des animaux de races améliorées mais nés localement et à moindre degré les produits de croisement avec le local (FAO, 2004). Par contre, le cheptel « bovin laitier amélioré » est issue de multiples croisements entre les populations locales et les races importées au moment où le système bovin laitier locale concerne les types génétiques locaux.
Le niveau global de la production nationale a dépassé le niveau de 1,73 milliards de litres en 2006, cependant, la part de la production collectée par le circuit formel a atteint seulement 15 % (Ministère de l’agriculture 2007). Ce taux reste en définitive très faible. Ainsi, le circuit informel est très présent et très dynamique et ce malgré la pression exercée par les autorités en vue de le rétrécir au détriment du développement des circuits formels. Le concept de secteur informel est alors apparu pour nommer cette nouvelle forme d’activité qui échappe au contrôle Etatique. Pas moins d’une trentaine de qualificatifs ont été proposés, recensés par Willard, pour désigner toute activité échappant à l’État-marché (Padilla et al 2004).
Ces circuits drainent sans doute une partie non négligeable de lait produit par les différentes catégories d’éleveurs et représentent la quasi-totalité du marché traditionnel et une grande partie de la consommation des produits frais ; par ailleurs, il faut noter les importations massives sous formes de poudre de lait et de produits finis. De 2000 à 2005, le marché Algérien a absorbé, en moyenne annuelle, 1020,68 millions de litre équivalent lait qui équivaudront à un total par habitant de prés de 60 litres équivalent lait soit 54,13% du total disponible (Djermoun 2007). L’ampleur des circuits informels reste mal connue, induisant des flux vers le consommateur difficilement quantifiables.
La problématique de cet article sera centrée sur les formes de circuits empruntés par les produits laitiers, issus de l’élevage bovins, ainsi que la nature de coordination entre les acteurs présents le long de l’acheminement de ces flux et par conséquent la mise en évidence des types d‘interrelations entre les acteurs du secteur formel et ceux du secteur informel.
La zone d'étude est intégrée aux Wilayas -district - d’Ain defla (haut Chéliff) et Chlef (moyen Chéliff) en Algérie (carte). La structure du relief de la région apparait sous forme d’une cuvette, traversée par l’Oued Cheliff d’Est en Ouest, bordée au nord et au sud par les chaines montagneuses de Dahra et de l’Ouarsenis.
Le climat est de type méditerranéen semi-aride avec un caractère de continentalité très marqué, caractérisé par une saison chaude et sèche en été, et une saison froide et humide en hiver. Les précipitations sont irrégulières dans le temps et dans l’espace. Les moyennes annuelles des précipitations sont variables, entre un minimum de 470 mm (Khemis situé à 300 m d’altitude) et un maximum de 810 mm à Miliana situé à 750 m d’altitude (direction des services agricoles de Ain defla 2007). Sur un total de 16171 exploitations détenant des bovins dans la région totalisant un effectif de 38020 VL, 62 % sont de race locale (direction des services agricoles de Ain defla et Chlef 2006).
Les systèmes « bovins laitiers modernes » de race pie rouge et pie noir importées et BLA « bovins laitiers améliorés » de race croisée, représentent respectivement 25 % et 13 %. Ces deux systèmes sont installés essentiellement au niveau des plaines, de part et d'autre de l'Oued Chéliff, autour des grandes agglomérations de la région, où se localise l'essentiel des ressources hydriques.
Les unités industrielles laitières de la région sont au nombre de 3 mini laiteries privées dont 2 localisées au niveau de la wilaya de Chlef. La seule filiale Etatique de GIPLAIT se situe dans la commune des Arribs (Ain Defla). Les deux premières (Djamous et Bassatine) utilisent exceptionnellement le lait cru, quant aux deux dernières (la filiale GIPLAIT des Arribs, la mini laiterie de Wanis) fonctionnent essentiellement sur la base de la matière première importée et accessoirement sur le lait local.
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Dans le cadre de la préparation d’une thèse de doctorat, une enquête par entretiens a été réalisée dans les deux bassins laitiers de haut et moyen Chéliff au cours de 2 années (2006-2007) et a touché les différentes phases de la filière : production, collecte, transformation et distribution. L’enquête a concerné 146 exploitations laitières, centré essentiellement sur le système intensif , après une enquête préliminaire sur un total de 329 exploitations d'élevage bovin laitier qui disposent d'un agrément sanitaire délivré par les services vétérinaires de la direction des services agricoles des deux wilayas ainsi qu’un nombre élevé d’éleveurs de piémonts et de montagne de manière à couvrir les différentes zones et avec le souci d'élargir le plus possible l'échantillon sur des types variés. Ils ont été choisis de manière aléatoire en tenant compte des orientations des responsables de la production animale des services agricoles de la wilaya d’Aïn-Defla et de l'ingénieur responsable du contrôle laitier de l'ITELV. L’enquête repose aussi sur la création de « cas types » à partir de la typologie retenue permettant de mettre en place un échantillon réduit d’élevages représentatifs de 10 individus qui ont l’objet d’un suivi par un passage mensuel au cours d’une période d’une année . Cela a permis de comprendre le fonctionnement technico-économique de l'élevage systèmes d'exploitation (Lhoste 1984) et la gestion des terres, à travers l'analyse des pratiques (Landais et Balent1993). L’enquête a touché aussi 4 laiteries (la filiale GIPLAIT des Arribs, la mini laiterie de Wanis implantés dans le haut Chéllif et les deux mini laiteries de Chlef, Djamous et Bassatine), 14 collecteurs et une dizaine de magasins de vente.
Les questionnaires ont été formulés de façon à identifier le système de production ainsi que les circuits d’approvisionnement en intrants et de vente de produits traditionnels, évaluer leur importance et déterminer les performances technico-économiques en termes de productivité et de rentabilité de l’élevage, de collecte et de transformation ainsi que la nature des relations (formelles et informelles) qui lient les principaux acteurs . Des relevés mensuels ont été faits pour estimer les quantités de lait écoulées par les éleveurs. En plus du travail sur le terrain, les données recueillies par les directions des services agricoles des deux wilayas sur la production laitière, la collecte et la transformation ont été utilisées ainsi que des données similaires propres aux laiteries de la région.
Les données relatives à l’élevage laitier ont été en premier lieu hiérarchisées par l’intermédiaire d’une grille de dépouillement (traitement par Excel) pour en second lieu être traitées par un outil statistique en l’occurrence le SPAD 5.5 afin d’en extraire la typologie.
L’analyse typologique nous a permis d’identifier cinq classes d’exploitations laitières, plus ou moins homogènes servant de base à notre analyse:
La typologie ainsi construite est donc le résultat d'une analyse statistique qui a permis de bien différencier les catégories d'éleveurs sur les plans structurel, économique et technique. Elle décrit la moyenne des résultats des exploitations constituant le groupe.
En matière d’illustration des modes d’arrangements informels entre les agents, nous avons fait le choix de mobiliser le schéma théorique de Jaffée (Jaffée 1992) et la grille des contrats proposée par Brousseau (Brousseau 1993).
Des élevages très hétérogènes et des comportements différents
Les exploitations pratiquant l’élevage bovin sont plutôt de petites et moyennes exploitations très hétérogènes (Tableau 1). La taille du troupeau chez les éleveurs est relativement réduite. En effet, 67,8 % des éleveurs enquêtés ont des troupeaux constitués de 1 à 10 vaches.
Tableau 1. les différents types d’éleveurs de bovins |
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A |
B |
C |
D |
E |
Type |
Elevage spécialisé |
Elevage Laitier agréé à livraison permanente |
Petit laitier à livraison irrégulière |
Laitier alimentant le secteur informel |
Elevage allaitants |
Identifiant |
Secteur formel, élevage laitier seul |
Secteur formel et informel, polyculture élevage |
Secteur formel et informel, polyculture, élevage |
Secteur informel en plus de l'autoconsommation |
Autoconsommation et engraissement |
panel |
9 |
86 |
25 |
14 |
12 |
Clients |
Collecteurs, centre de collecte |
Collecteurs, centre de collecte, proximité, détaillants |
Collecteurs, détaillants |
détaillants, points de vente, cafétéria |
néant |
Zone géographique |
Zones de plaines et vallées |
zones de plaines et vallées |
zones de plaines |
zones de plaines et piémonts |
zones de piémonts et montagnes et des éleveurs des zones de plaines dont la taille est très réduite (1VL de race Holstein...) |
Il en ressort que le rendement laitier chez les éleveurs du système intensif (classes A et B) est largement supérieur à celui du secteur informel (classe D) et à celui des éleveurs dont la production laitière est destinée exclusivement à l'auto consommation ( classe E) . Ainsi, l’ampleur des quantités écoulées et la nature des circuits empruntés par le lait produit sont différentes d’une classe d’élevage à une autre. En effet, le lait produit a essentiellement quatre débouchés en relation avec les quantités produites, la zone géographique où sont situés les producteurs et les stratégies adoptées par ces derniers, à savoir : l'autoconsommation, la transformation domestique, la livraison au circuit formel et la vente directe au circuit informel (Tableau 2).
Tableau 2. Répartition des quantités de lait drainées par type de circuit |
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Classe A |
Classe B |
Classe C |
Classe D |
Classe E |
Taille moyenne de l'exploitation (vache laitière) |
12,37 |
12,6 |
3,08 |
5,28 |
2,41 |
Lactation moyenne en litre |
3989 |
3779 |
3233 |
3135 |
2287 |
Production totale par exploitation |
49344 |
47615 |
9958 |
16553 |
5512 |
Autoconsommation moyenne humaine par classe en l/an |
1776 |
3333 |
2400 |
1738 |
2370 |
Part de l'autoconsommation humaine en % |
3,6 |
7 |
24,1 |
10,5 |
43 |
Auto consommation animale moyenne par classe en l/an |
11152 |
6871 |
3366 |
4122 |
3143 |
Part de l'autoconsommation animale en % |
22,6 |
14,43 |
33,8 |
24,9 |
57,02 |
Vente moyenne aux détaillants par classe en l/an (circuit informel) |
0 |
3276 |
3196 |
10329 |
0 |
Part du circuit informel (détaillants) en % |
0 |
6,95 |
32,1 |
62,4 |
0 |
Vente moyenne au circuit formel par classe en l/an |
36416 |
31721 |
995 |
0 |
0 |
Part du circuit formel en % |
73,8 |
66,62 |
9,99 |
0 |
0 |
La coexistence des circuits formels et informels
L'acheminement du lait "de l'étable à la table" se fait principalement à travers le circuit organisé (formel) et le circuit informel, représentés par la figure 2.
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Ainsi, nous distinguerons trois types de circuits qui sont:
L’extrapolation (Tableau 3) des quantités de lait local écoulées selon les circuits et par classe d'éleveurs est conçue en tenant compte de performances enregistrées ainsi que de la répartition du potentiel génétique par système. L’intervalle de vêlage (la durée moyenne entre deux vêlages successifs) est cependant très variable, entre 12 et 18 mois voire beaucoup plus. Cet intervalle est plus grand chez les exploitations de taille réduite " non livreurs " et arrive jusqu'à 24 mois. Il nous est donc extrêmement difficile d’évaluer la durée moyenne entre deux vêlages successifs du moment que nous nous sommes basés sur les déclarations des éleveurs. La seule hypothèse prise en considération réside dans l’écart vêlage – vêlage, écart rapporté à une année pour pouvoir estimer la production annuelle.
Tableau 3. Extrapolation des quantités de lait local écoulées selon les circuits et par classe d'éleveurs |
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Classe d'élevage |
Classe A |
Classe B |
Classe C |
Classe D |
Classe E |
Total |
Part des circuits en % |
Total VL |
310 |
2793 |
2108 |
9809 |
23000 |
38020 |
|
Production* annuelle |
1224224 |
10449199 |
6542557 |
29521166 |
43658830 |
91395976 |
100 |
Circuit officiel |
903477 |
6961257 |
653601 |
0 |
0 |
8518335 |
9,32 |
Auto cons humaine |
44072 |
731444 |
1576756 |
3099722 |
18773297 |
24225291 |
26,5 |
Auto cons Animale |
276675 |
1507819 |
2211384 |
7350770 |
24894265 |
36240913 |
39,65 |
Détaillants |
0 |
313476 |
2100161 |
18421208 |
0 |
20834845 |
22,8 |
Collecteurs informels |
0 |
705321 |
0 |
|
|
705321 |
0,78 |
Proximité cafétéria ferme |
0 |
208984 |
0 |
649466 |
|
8584450 |
0,95 |
*Les écarts vêlage -vêlage pris en considération sont : 369 j pour les classes A et B, 380 j pour les classes C, D et 437 j pour la classe E. |
En définitive, la production laitière commercialisée par le circuit formel est en moyenne de 9,32 %. L'autoconsommation prend l'essentiel de la production de la région avec une part de 66,15 %, répartie entre la consommation animale (39,65 %) et l'autoconsommation familiale (26,5 %). Ce résultat est imputable à l’importance de l’élevage « extensif », du cheptel local (75 % de l’effectif total) et à la nature génétique du cheptel présent dans les zones rurales (race locale et améliorée de faibles potentialités génétiques).
Quant au circuit informel, il absorbe l'équivalent de 24,53 % de la production locale, dont 92,95 % est écoulée par les détaillants.
Les producteurs qui consomment la majeure partie du lait et des produits laitiers de l'exploitation sont ceux situés dans des zones éparses, zones de piémonts et de montagnes, loin des marchés, et ceux qui disposent de peu d'animaux laitiers, en moyenne 2,41 VL par exploitation dans l'échantillon (Classe E).
En revanche, dans les plaines (vallées du haut et moyen Chéliff), l’autoconsommation humaine représente une part relativement faible de la production, de 3,6 % à 7 % en moyenne, rencontrée respectivement chez les classes A et B. Cette faiblesse s'explique par l'importance relative de la production en termes physiques et de la nature même de l'élevage intensif qui est destiné en priorité à la commercialisation.
Quant à la part de la consommation animale, elle demeure relativement importante. La moyenne de la production totale destinée à l'allaitement des veaux des éleveurs "livreurs" de l'élevage intensif, représentés par les classes A et B est respectivement de l'ordre de 22,6 % et 14,43 %, soit une consommation moyenne par veau de 897 l et 540 l pour les deux classes d’éleveurs agréés. Cette situation est attribuée à la pratique traditionnelle d’allaitement des veaux jusqu’à cinq mois pour la classe A et trois chez les éleveurs de la classe B et une quantité journalière de lait par veau très importante.
La consommation animale est beaucoup plus importante en élevage extensif et semi intensif, représenté par les classes C, D et E, où l'objectif n'est plus la vente de lait mais l’obtention d’un veau de "bon format" ; aussi, la quantité destinée au veau est prise avant la traite, en lui laissant un ou deux trayons, durant une période longue de 6 à 9 mois avant le sevrage. La priorité est ainsi donnée au veau. La part consommée par le veau est comprise entre 25 % (classe D) et 57 % (classe E) de la production totale moyenne de chaque classe d'élevage.
La transformation domestique du lait provient essentiellement d’une catégorie importante d'éleveurs de la classe D, en plus d'une partie des éleveurs de la classe B. La partie restante de la vente quotidienne fait l'objet de transformation domestique et de ventes soit de lait caillé ou de lait fermenté aux détaillants.
Ils supposent la vente directe du lait au consommateur final. Les trois principales formes de vente sont la vente aux détaillants et points de vente, la vente aux cafétérias et la vente de proximité ou " de porte à porte".
La quantité écoulée auprès des détaillants et points de vente, constitue environ 62,4 % de la production des exploitations de la classe D (une moyenne de 10329 l par exploitation) et 32 % de la production des éleveurs de la classe C.
A cette catégorie d'éleveurs, s'ajoute une tranche non négligeable d'éleveurs agréés (Classe B) qui sont sensés livrer totalement leur production au secteur formel, cependant le besoin d’argents dicté par la nécessité de financement et à cause de contraintes administratives, ils ont souvent recours à la vente directement au détail, dans leurs propres magasins ou généralement dans des magasins gérés par des membres de la famille. Mais, la quantité moyenne vendue n'excède guère 7 % de la production de cette catégorie. Ces magasins ont la réputation d'avoir chacun sa propre clientèle, habituée à s'approvisionner régulièrement non seulement en lait frais, mais aussi en raïbs et laits fermentés. La vente au détail est largement répandue dans pratiquement toutes les villes de plaines, mais les détaillants sont souvent mobiles. Cette mobilité permet d'échapper aux contrôles effectués par les services de la direction de la concurrence et des prix des deux wilayas.
Une catégorie d'éleveurs de la classe D, qui n’a pas la possibilité de vendre aux voisins (vente de proximité), vend le lait frais directement aux cafétérias et aux crémeries. Les producteurs, eux mêmes ou par le biais de leurs enfants, amènent chaque jour du lait en ville depuis les villages limitrophes (à une distance de 2 à 10 km de la ville). L'exemple le plus frappant est celui de la ville de Zeboudja où la quasi-totalité des cafétérias sont approvisionnées par les éleveurs venant de Oued Hamlil et des villages voisins. Chaque jour, une vingtaine de personnes en moyenne vendent du lait à ces cafétérias dans des bouteilles en plastique de 1 litre, 1,5 litre (bouteilles de Coca et Pepsi Cola recyclées) et des bidons de 5 litres (bidons d'huile CEVITAL).
En effet, chaque cafétéria dispose d'un certain nombre de fournisseurs fidèles ; le prix de vente est uniforme ; il est de 20 DA/l de lait, prix bien inférieur à celui fixé par l'Etat, mais pour un lait de qualité douteuse. La quantité de lait cru acheminée par ce circuit constitue environ 2,2 % de la production moyenne de cette catégorie d'éleveurs. La vente de proximité est fréquente dans les agglomérations et les petites villes où les habitants se connaissent mieux. Le lait frais et le lait fermenté sont proposés régulièrement chaque jour par le producteur lui-même, dans son lieu de résidence, aux ménages citadins voisins, dans des emballages à la contenance connue (bouteilles en plastiques ou bidons de volumes connus) appartenant soit au producteur ou au client. Les enfants des ménages citadins jouent souvent le rôle d'intermédiaire.
Ce mode de vente est également présent dans les fermes voisines des grandes villes de la région ; il très répandu à Khemis Miliana, où le propriétaire de la ferme vend lui-même une bonne partie de sa production à des clients fidélisés, habitués à s'approvisionner régulièrement, généralement après la traite de 14 h. La quantité transitant par ces deux circuits ne dépasse guère 2 % de la production totale des éleveurs enquêtés de la classe B.
La clientèle de ces deux modes de vente (vente à domicile, vente à la ferme) connaît parfaitement les éleveurs en question, la qualité de leurs produits, les prix de vente et les horaires de livraisons.
Ils sont constitués par la livraison aux collecteurs qui, eux-mêmes, livrent ensuite non seulement aux unités industrielles de transformation (GIPLAIT et les minis laiteries), mais aussi aux détaillants et aux points de vente.
Les collecteurs livrent aussi aux détaillants à hauteur de 6,7 % de la production de la classe B, d'une manière volontaire ou non, soit une quantité moyenne annuelle écoulée de l'ordre de 3158 l par exploitation, selon les trois cas de figure suivants, appréhendés aux cours de l'enquête :
- Le passage du collecteur auprès de ses fournisseurs, généralement des éleveurs ayant de faibles quantités et se situant plus ou moins loin des axes routiers des laiteries, n’est pas quotidien. Le lait stocké dans de mauvaises conditions, dépassant une certaine durée, devient de plus en plus acide. Le collecteur est amené à prendre cette quantité et la transporte non pas vers l'unité industrielle, mais en direction des détaillants habitués à acheter ce genre de marchandise pour la transformer et la vendre sous forme de lait caillé ou lait fermenté.
- Certains éleveurs de la classe C, produisant périodiquement des quantités suffisantes de laits, n'ayant ni l'agrément (autorisation de vente au circuit formel), ni la possibilité d'écouler en permanence leurs productions (en s’intégrant avec des éleveurs agréés, par écoulement direct auprès des détaillants) sont amenés à rechercher un débouché permanent. La seule issue qui se présente à eux est celle représentée par les collecteurs privés ; le lait ainsi collecté est livré tôt le matin ou entre midi et 14h aux petits magasins d'alimentation et détaillants avec lesquels le collecteur a fixé le prix et la quantité qu'il doit fournir chaque jour.
- Certains collecteurs livrent de bon matin directement aux points de vente de certaines mini laiteries, ce qui laisse croire aussi que les quantités collectées à destination des mini laiteries ne sont pas transformées en totalité, une partie du lait cru est ainsi acheminée vers les points de vente (vente au détail), vendu dans des emballages en plastique (films plastiques) et aussi sous forme de lait caillé en pot de plastique ne portant aucune indication, transformés sur place au sein de ces points de vente.
Dans les magasins de détail, le lait est versé dans des fûts en aluminium, placé dans des congélateurs et ensuite vendu aux clients. Dans la plupart des cas, chaque magasin a ses propres clients qui amènent chaque soir leurs bouteilles et viennent les récupérer le matin entre 6h30 et 8h00.
La tendance à la vente au circuit informel est dictée surtout par le niveau de prix offert par ce secteur. Ainsi, ce circuit informel achemine près de 25 % de la production de la région, alimenté non seulement par les micro-exploitations mais aussi par les éleveurs agréés.
Par ailleurs, le secteur informel est fortement
présent dans les pays méditerranéens. Plusieurs travaux de recherché ont montré
l’importance de ce circuit dans le total de la production laitière
commercialisée. En effet, ce secteur représente 85 % de l’économie nationale
laitière égyptienne (Soliman 2001) et atteint 87 % des transactions au Liban (Padilla
et al 2004). Il varie entre 66 % et 80 % en Turquie (Tanriverdi
2001).
Pour l’Albanie, l’activité oscille entre 35 % et 40 % (Kercuku-Biba
2000). Dans
le marché laitier tunisien, l’informel se situe entre 32 % et 38 % (Haddad
2001). En l’Algérie, il représente 34 % (Bourbia1998) par contre
au Maroc, il va de 20 à 30 % (Leteuil 1999, Godart 2001).
En revanche, le circuit de collecte officiel, animé par les pouvoirs publics et monopolisé en quasi-totalité par les industriels laitiers participe à l’écoulement de moins de 10 % de la production de lait cru de la région.
L’élevage laitier intensif introduit dans les ex DAS (domaines agricoles socialistes) a presque totalement disparu après la restructuration de ces domaines en exploitations agricoles collectives et exploitations agricoles individuelles. Les étables sont en fait soit loués ou définitivement abandonnées, le nombre important d’étables vides recensées dans la wilaya de Ain defla (au nombre de 80 en 2007) en témoigne. Le nombre de vaches laitières concernées par la collecte ne dépasse pas 36 % du total de l'effectif BLM présent dans les deux bassins, la quantité moyenne collectée correspond à 7,20 l/VL, le nombre d'exploitations intégrées dans le circuit officiel est en moyenne de 329, d'un effectif moyen de 9,43 VL. Ainsi, la quantité collectée en 2006 a atteint un plafond de 8 151 681 kg dans les deux bassins laitiers du haut et moyen Chéliff.
Ces indicateurs caractéristiques montrent clairement la situation de la collecte et marquent le degré de vulnérabilité de la production laitière au Chéliff en particulier.
Quant à la qualité du lait collecté, le comportement des acteurs impliqués témoigne que cet aspect est reporté dans leurs agendas respectifs. Les collecteurs font rarement recours aux analyses préalables avant le prélèvement du lait. Au niveau des unités de transformation équipées de laboratoires, les analyses restent encore défectueuses, plusieurs paramètres physico-chimiques et bactériologiques ne sont pas contrôlés par l'industrie, et ne peuvent pas de ce fait constituer un critère sélectif de la qualité du lait réceptionné. Un autre critère de délaissement de la qualité du lait demeure le paiement standard des producteurs à 22 DA /l, sans tenir compte des paramètres sélectifs de base, conçus pour la détermination de la qualité du lait (la densité et l'acidité du produit). Les autres mini- laiteries se limitent essentiellement aux contrôles visuels de la production livrée. L'objectif non déclaré de l'ensemble des acteurs demeure la recherche de la quantité même au détriment de la qualité, qui ne constitue pas à une priorité pour l'instant.
Au sein du circuit officiel, le canal "collecteurs – industries laitières " constitue le plus important circuit véhiculant l'essentiel des quantités collectées. Ce circuit est animé par un réseau de collecteurs privés et publics doté de véhicules isothermiques et de camions frigorifiques. Il contribue ainsi à la circulation de près de 74 % de la production de la classe A, de 66,6 % de la classe B et environ 10 % de la production de la classe C. les quantités collectées sont le résultat des efforts des collecteurs privés, qui ont émergé à partir de 2002 et des efforts des laiteries.
En effet, les collecteurs privés sont des jeunes diplômés (agronomes, vétérinaires ou autres), ayant bénéficié dans le cadre du plan national du développement agricole de l'acquisition de véhicules équipés de moyens adéquats (camionnette avec citerne équipé d'une pompe et d'autres instruments d'analyse et de contrôle de qualité laitière) en vue d'accomplir la tâche de collecte dans de bonnes conditions.
En plus de ces jeunes, chaque unité de transformation (mini laiterie ou filiale GIPLAIT) est dotée de moyens de collecte propres (camions frigorifiques) mis au service de réseaux autonomes de collecte. Ainsi, chaque unité est desservie par un nombre déterminé de collecteurs privés en plus de ces moyens de collecte propres.
La présence de collecteurs privés et publics sur un même champ d'action a créé une sorte de concurrence, notamment face à un nombre réduit d'éleveurs et une offre limitée. C'est pourquoi la direction du service agricole de Ain Defla a procédé à un arrangement entre collecteurs, le nombre d'éleveurs est arrêté par collecteur en fonction d'abord de sa région de résidence et de sa date d'émergence dans la profession. Cependant, les mini-laiteries de Chlef ont choisi chacune leurs propres partenaires envahissant totalement le terrain de la collecte.
En revanche, la livraison directe au centre de collecte de Chlef, seul centre appartenant actuellement à la filiale GIPLAIT des Arribs, est assurée par les éleveurs eux-mêmes.
Les producteurs livrent de bon matin le lait à ce centre avec leurs moyens de transport en utilisant des camionnettes généralement ou des véhicules à cabine (de type Toyota, 504 Peugeot, Renault Express..). Il faut noter que les moyens de transport utilisés n’assurent pas une bonne conservation du lait ; cependant le lait une fois réceptionné est mis dans des bacs de réfrigération.
Cette forme de livraison représente la seule voie qui a persisté de l'époque de l'office régional du lait de la région centre, depuis la création des unités des Arribs en 1987 et l’unité de Rélizane en 1993, et les éleveurs fidèles à cette époque continuent à livrer à ce centre. Les quantités de lait livrées directement au centre sont désormais de plus en plus faibles, compte tenu de la pression exercée par les mini laiteries voisines du centre.
Les producteurs livreurs aux circuits informels sont dans l'obligation d'entretenir des relations avec leurs clients d'aval dans un souci majeur de faciliter l'écoulement d'une partie ou de la totalité de la production. En effet, les clients du secteur informel (détaillants, cafétéria …) sont généralement des personnes avec lesquelles les producteurs ont tissé des relations d'amitié, de confiance, de fidélité et parfois des liens familiaux.
Les producteurs comme les collecteurs préfèrent garder un contrat informel (Market reciprocity agreement) qui se fait sous forme orale. Ce type de contrat est le modèle qui arrange le mieux les deux parties contractantes dans la mesure où les prix peuvent être revus à la hausse en fonction de la demande et en bénéficiant de la coutume qui veut que pour garder des liens sociaux forts entre les habitants des agglomérations, il faut tout faire pour éviter d’en arriver à des poursuites judiciaires.
Par ailleurs, l'enquête a révélé aussi l'existence d’agriculteurs-éleveurs qui commercialisent directement leur propre production dans des magasins d'alimentation générale qui leur appartiennent comme c’est le cas de trois détaillants, implantés dans les communes de Zeddine, El- Abadia et Khemis Miliana. Ce mode de coordination est similaire à la situation d'intégration verticale puisque le principal facteur de production du lait, les vaches, appartient à ces éleveurs/commerçants.
Enfin, les ventes de proximité et au niveau des exploitations sont réalisées auprès de consommateurs bien informés des prix pratiqués, des lieux de ventes et de la "qualité" quasi certaine du produit, objet de la transaction. Par définition, cette forme de coordination est de type contrat spécificités des produits (forward contrat). Ce contrat représente un arrangement institutionnel contractuel intermédiaire entre la fonction de production et de marketing.
Dans le secteur informel, la forme contractuelle, entre producteur et l'aval de la filière (détaillants et cafétéria), se fait sous forme orale. Ainsi, le producteur s'engage moralement à livrer une quantité journalière déterminée de lait, selon certaines conditions de qualité et de prix.
Les raisons d'un contrat oral sont en fait logiques à cause d'abord de la faiblesse des quantités écoulées par ce circuit et de l'interdiction par la loi de toute manipulation de ce produit en dehors du circuit formel. Mais, le contrat oral est aussi le plus répandu dans toutes les transactions agricoles et commerciales et plus pratique pour au moins deux raisons :
- la volonté de tisser des liens sociaux forts entre les agents impliqués à l’intérieur de la même zone géographique et en dehors de tout contrôle administratif ;
- les engagements contractuels oraux donnent aussi l’impression d’être moins obligatoires et donc plus flexibles et pouvant être modifiés à tout moment.
Le contrat oral renferme des conditions que les deux parties de la transaction s'engagent à respecter. La durée du contrat peut être très longue et est généralement indéterminée dans le contexte de la convention. Les conditions constituant la base du contrat dans ces cas précis sont au nombre de trois. Elles concernent la quantité, la qualité et le prix. Mais la durée de validité de certaines conditions, en particulier celle du prix, peut varier en fonction de la conjoncture du marché.
Le prix offert aux producteurs change selon la région, selon le mode et le lieu de vente, etc. Ainsi, le prix du lait vendu à proximité ou au niveau des fermes, par le producteur lui-même, est actuellement de 30 à 35 DA le litre. De même, le lait acide refusé par les industriels, est accepté par des détaillants mais à des prix négociables au jour le jour (de toute façon inférieurs à 22 DA/ litre). Par contre le lait collecté par le circuit formel est payé à 29 DA (y compris la prime de soutien à la production). Vu cette différence de prix et le mode de paiement cash pour le lait vendu sur le marché informel, les éleveurs implantés à proximité des agglomérations urbaines cherchent souvent à mieux valoriser leur production en la vendant eux mêmes. Ainsi, les acteurs du circuit formel disposent d’une faible marge de manœuvre sur les prix.
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Received 15 June 2010; Accepted 11 August 2010; Published 1 November 2010