L'élevage des escargots géants comestibles d'Afrique: inventaire de végétaux sauvages consommés par Achatina achatina (Linné 1758) et préférences alimentaires

Atcho Otchoumou, Konan N'Da et Kouadio Daniel Kouassi

Laboratoire de Biologie et Cytologie Animales (Unité de Formation et de Recherches en Sciences de la Nature),
Université d'Abobo-Adjamé, 02 BP 801 Abidjan 02
atcho@aviso.ci  ou   aotchoum@jouy.inra.fr

Résumé

Un inventaire de végétaux sauvages consommés par Achatina achatina (Linné) a été réalisé au laboratoire. Les quatre végétaux les mieux appréciés ont été proposés aux escargots au cours d'une expérience de préférence alimentaire et leur composition chimique déterminée.

Achatina achatina consomme une gamme très variée de végétaux sauvages et son préférendum alimentaire est Cecropia peltata et Laportea aestuans.

Mots-clés: Achatina achatina (Linné), escargot, forêt de l'université d'Abobo-Adjamé,inventaire alimentaire, préférence alimentaire, végétaux sauvages.

The edible African snails farming: inventory of wild vegetables consumed by Achatina achatina (Linné 1758) and dietary preferences

Abstract

The edible giant snail Achatina achatina (Linné) consumed wild plants of which an inventory was realized in the laboratory. The four most appreciated plants were fed by pairs to the snails in a dietary preference experiment and their chemical components determined.

Achatina achatina consumes micellaneous wild plants but prefers Cecropia peltata and Laportea aestuans.

Key words: Achatina achatina (Linné), dietary inventory, dietary preference, snail, university of Abobo-Adjamé forest, wild plants

Introduction

Le régime alimentaire d'un animal, du point de vue qualitatif et quantitatif est d'une grande importance en biologie, en écologie et en conservation de la flore. La plupart des organismes choisissent leur nourriture dans un large spectre d'aliments disponibles et la sélection effectuée joue donc un rôle considérable. Ce choix alimentaire réalisé par un végétarien a deux incidences. Une sur l'animal car intervenant en grande partie dans la détermination de la qualité et de la quantité d'aliment ingéré et par voie de conséquence sur la croissance et la physiologie de celui-ci. L'autre sur le végétal entraînant la mise en place de mécanismes de défense contre les herbivores (Grimes et Blyte 1969; Rhodes et Cates 1976) et une perturbation de son développement et de sa succession dans le temps (Cates et Orians 1975; Lubchenco 1978; Nicotri 1980). De nombreux travaux ont abordé le problème de l'alimentation des gastéropodes terrestres. Il a notamment été démontré chez ces derniers que différentes espèces de limaces à la recherche de nourriture peuvent parcourir de longues distances sur un terrain relativement pauvre en aliment de même que sur une aire très riche en végétaux, ce qui laisserait supposer une phase d'identification de ces végétaux avant d'effectuer un choix (Moens and Coll 1965). Il a aussi été montré qu'Achatina achatina (Linné) consommait les principaux fourrages verts cultivés et qu'elle préférait en particulier les feuilles de salade (Lactuca sativa(Apiaceae)), de choux (Brassica oleracea(Brassicaceae)) de manioc (Manihot esculentus(Euphorbiaceae)) et de taro (Xanthosoma maffafa(Araceae)) (Otchoumou et al 1989-1990). Enfin, certaines espèces d'Achatinidae notamment Achatina fulica (Bowdich) sont considérées dans les régions où elles ont été introduites comme une peste pour les cultures et la végétation (Craze et Mauremootoo 2002; Raut et Barker 2002). Cependant, l'action destructrice d'Achatina achatina (Linné) sur la flore de son biotope reste à élucider. C'est pourquoi, dans le présent travail, nous nous sommes attelés à:

- Faire un inventaire des espèces végétales non cultivées consommées par Achatina achatina (Linné) en forêt.

- Rechercher les préférences d'Achatina achatina (Linné) parmi les espèces végétales les mieux appréciées.

Matériels et méthodes

Les végétaux

Les feuilles de quinze (15) espèces végétales récoltées dans la forêt de l'Université d'Abobo-Adjamé ont été utilisées dans ce travail. Cette forêt couvre une superficie de 5ha environ. Elle fait partie de l'ensemble des forêts denses sempervirentes à forte pluviométrie (environ 2000mm de pluie/an), température moyenne de 26°C et humidité relative de l'air d'environ 90%. Les espèces végétales caractéristiques sont les suivantes:

pour la strate supérieure: -Donna Carapa procera (Meliaceae); Mallotus oppositifolius (Euphorbiaceae); Hunteria eburnea (Apocynaceae)

pour la strate moyenne: Celtis Spp (Ulmaceae); Trichilia monadelpha (Meliaceae); Rauwolfia vomitoria (Apocynaceae), et

pour la strate basse: Palisota hirsuta (Commelinaceae)(Aké-Assi 1980; Adjanohoun 1989).

Les escargots

Une seule espèce d'escargot a été utilisée. Il s'agit de l'espèce Achatina achatina (Linné 1758). Tous les escargots ont été collectés dans les forêts denses du sud-ouest de la Côte d'Ivoire. Les expériences ont été réalisées avec des juvéniles II (40mm < Longueur de coquille< 80mm) et des reproducteurs (Longueur de coquille > 80mm).

Méthodes

En ce qui concerne l'inventaire alimentaire, cinquante six (56) escargots dont vingt huit (28) juvéniles II et vingt huit (28) reproducteurs ont été sélectionnés après deux (2)semaines d'acclimatation à la vie en captivité. Ils ont été répartis en deux lots de deux répétitions à raison de 14 escargots par bac et par classe d'âge à la densité de 56 escargots/m². Les bacs d'élevage en polystyrène de forme trapézoïdale à base carrée ont une hauteur de 0,125m, une surface de base de 0,25m² pour un volume estimé à 0,031m³. Ces bacs possèdent des couvercles de type moustiquaire en polystyrène constituant le dispositif anti-fuite. L'intérieur des bacs est recouvert d'une litière de 2cm d'épaisseur constituée de sable fin préalablement stérilisé par chauffage. Les escargots morts sont remplacés afin de maintenir les densités de départ. L'aliment constitué de feuilles d'une espèce végétale, est proposé pendant cinq (5) jours aux escargots après un jeûne de deux jours à raison de 200g par lot. Un témoin constitué de la même quantité du végétal et placé dans les mêmes conditions expérimentales, permet de faire les corrections de poids dues à la dessiccation du matériel végétal. Pour la préférence alimentaire, les quatre plantes les mieux consommées pendant l'inventaire alimentaire sont retenues et proposées aux animaux par binômes à raison de 100g par espèce végétale. Les animaux sont pesés au début et à la fin des cinq jours ainsi que les restes d'aliments au 1/100 de milligramme près. La composition chimique des quatre plantes utilisées dans l'expérience de préférence alimentaire a été déterminée afin de mieux comprendre le préférendum des animaux.

Expression des résultats

L'inventaire et la préférence alimentaire sont estimés à partir de la quantité de végétaux verts journellement consommés et du taux moyen journalier de consommation. Le choix d'un ou d'une combinaison de végétaux comme meilleur aliment tiendra compte non seulement de la quantité de végétaux verts journellement consommés mais aussi de l'indice de transformation qui est la quantité de végétaux qu'il faut pour produire un kg d'escargot.

Quantité moyenne d'aliment vert journellement consommée (Q)

Q(g/j) = (qi-qf) / t

Avec:

qi = quantité initiale de végétaux;
qf = quantité finale de végétaux;
t = durée de la consommation en jour.

Taux moyen journalier de consommation (TMJC)

TMJC (%) = (Qx100) / P

Avec:

Q = quantité moyenne d'aliment vert journellement consommée (g);
P= Poids moyen de l'escargot (g)

Rendement écologique de croissance (REC)

REC = (DPx100) / Q

avec

DP = gain de poids (g) pendant un intervalle de temps Dt;
Q = quantité d'aliment frais consommée (g) pendant un intervalle de temps Dt

Indice de transformation (IT)

IT = 100 / REC

Résultats

Inventaire alimentaire

Les végétaux consommés expérimentalement par l'escargot: Achatina achatina (Linné) sont consignés dans le tableau 1.

Toutes les quinze espèces végétales proposées aux juvéniles II ont été consommées tandis que chez les reproducteurs, Combretum dolichopetalum et Sarcophrynium brachystachys n'ont pas été consommés. Dans l'ensemble, les quantités de végétaux ingérées par les juvéniles II sont deux fois supérieures à celles des reproducteurs. Les quatre végétaux les mieux appréciés par ordre décroissant des quantités ingérées par les juvéniles II sont Laportea aestuans, Phaulopsis falcisepala, Cecropia peltata et Palisota hirsuta tandis que chez les reproducteurs, ce sont Laportea aestuans, Cecropia peltata, Tabernaemontana crassa et Phaulopsis falcisepala. Au regard de l'indice de transformation, les quatre végétaux pouvant constituer les meilleurs aliments et classés par ordre croissant des indices chez les juvéniles II sont Cecropia peltata, Tabernaemontana crassa, Millettia zechiana et Phaulopsis falcisepala alors que chez les reproducteurs, ce sont Phaulopsis falcisepala, Millettia zechiana, Cecropia peltata et Laportea aestuans

Préférences alimentaires

Le tableau 2 donnent les résultats relatifs aux mélanges de plantes préférentiellement consommées par l'escargot Achatina achatina (Linné).

On remarque que ces animaux savent marquer leur préférence alimentaire. Celle-ci est exprimée par une consommation plus élevée de la plante préférée par rapport à l'autre plante du couple proposé. Ainsi quel que soit l'âge des escargots, les feuilles de Laportea aestuans et Cecropia peltata prises individuellement sont préférées aux feuilles de Palisota hirsuta et de Phaulopsis falcisepala. Le couple Laportea aestuans / Cecropia peltata est préféré au couple Palisota hirsuta / Cecropia peltata chez les juvéniles II. On note une consommation plus élevée du couple Cecropia peltata / Laportea aestuans chez les reproducteurs tandis que le couple le moins consommé est Cecropia peltata / Phaulopsis falcisepala. Cependant, les animaux ont des préférences égales vis à vis de certaines plantes et couples de plantes. C'est le cas de Cecropia peltata et de Laportea aestuans chez les reproducteurs. C'est également le cas des couples Palisota hirsuta / Cecropia peltata, Phaulopsis falcisepala / palisota hirsuta, Cecropia peltata / Phaulopsis falcisepala, Laportea aestuans / palisota hirsuta et Phaulopsis falcisepala / Laportea aestuans chez les juvéniles II. Les reproducteurs ont des préférences similaires vis à vis des couples Palisota hirsuta / Cecropia peltata et Phaulopsis falcisepala / palisota hirsuta puis Laportea aestuans / Cecropia peltata et Laportea aestuans / palisota hirsuta. A l'analyse de l'indice de transformation, les couples Palisota hirsuta / Cecropia peltata et Phaulopsis falcisepala / Laportea aestuans sont les meilleurs aliments car il faut respectivement 53,19 kg et 74,07 kg pour produire 1 kg d'escargot contrairement aux autres couples.

Analyse chimique des espèces végétales les mieux consommées

Le tableau 3 indique la composition chimique des quatre espèces végétales les mieux consommées par Achatina achatina (Linné).

On remarque que ces espèces végétales contiennent plus de 80% d'eau et ont un taux de calcium (Ca) compris entre 2,50 et 6,80%. Le taux de potassium (K) est de l'ordre de 0,1%. Il convient également de noter que le taux de calcium est plus élevé que celui du potassium et du sodium.

Discussion

Inventaire alimentaire

L'escargot est essentiellement végétarien et recherche particulièrement les plantes jeunes et tendres (Rousselet 1979), ce fait est en accord avec notre résultat d'inventaire alimentaire. Presque tous les végétaux proposés aux escargots ont été consommés. En effet, selon Hodasi (1979), l'escargot Achatina achatina (Linné) se nourrit d'une gamme très variée de végétaux sauvages et cultivés. Des comportements similaires ont été observés par Gallois et Daguzan en 1989 chez Helix aspersa (Müller). Les résultats de cet inventaire en terme de quantité de végétaux consommés, sont en accord avec ceux de Upatham et al (1988) chez Achatina fulica (Bowdich) et ceux de Otchoumou et al, (1989-1990) chez Achatina achatina (Linné) sur les fourrages verts. La consommation d'un végétal semble liée à son apport nutritif. Ainsi, les espèces végétales les mieux consommées (Cecropia peltata, Laportea aestuans, Phaulopsis falcisepala) présentent-elles les meilleurs rendements écologiques de croissance. Les différences observées au niveau des quantités ingérées chez chaque espèce d'escargot pourraient s'expliquer par des différences de texture, de parfum et même de la valeur nutritive des feuilles des végétaux proposés, éléments qui concourent à une bonne consommation (Gallois et Daguzan 1989).

Préférences alimentaires

Deux composantes distinctes du préférendum alimentaire peuvent être reconnues (Nicotri 1980).

-L'une, relative à la sélection d'un potentiel de végétaux susceptibles d'être consommés: c'est l'attraction.

-L'autre concerne le taux d'ingestion de cet aliment: c'est la comestibilité.

Comme le soulignent Watson et Norton (1985), la comestibilité reflète à la fois la vitesse avec laquelle un aliment donné satisfait les besoins physiologiques de l'herbivore et la facilité avec laquelle celui-ci peut être avalé et ingéré. L'attraction comprend un nombre de facteurs incluant la capacité de l'herbivore à détecter les odeurs des plantes et la caractéristique non nutritive des plantes qui déterminent la valeur du végétal. Les taux moyens journaliers de consommation des juvéniles II pour les couples de végétaux présentés sont comparables à ceux obtenus par Otchoumou et al (1989-1990) chez Achatina achatina (Linné). Les niveaux d'ingestion observés chez ces juvéniles II semblent dépendre de l'appétibilité du binôme. Ainsi, les binômes Cecropia peltata / Laportea aestuans et Laportea aestuans / Palisota hirsuta sont-ils plus consommés que le binôme Palisota hirsuta / Phaulopsis falcisepala. Les feuilles de Cecropia peltata et de Laportea aestuans seraient plus tendres que celles dePhaulopsis falcisepala. La composition chimique des plantes les mieux consommées révèle que la plupart d'entre elles contiennent plus de 80% d'eau (Otchoumou (1989-1990). Dans son milieu naturel, l'escargot étant végétarien, trouve la plus grande partie de l'eau nécessaire à son hydratation dans les fourrages verts qu'il consomme. L'analyse minérale des plantes indique un taux élevé en calcium chez Phaulopsis falcisepala et chez Laportea aestuans. Si les taux en calcium, en potassium et en sodium attestent de la qualité minérale de l'aliment pour l'escargot, il n'en demeure pas moins qu'ils restent insuffisants pour les renseignements sur l'appétibilité des plantes et leurs apports à l'organisme de l'animal. Quant aux raisons conditionnant le choix, il s'agit d'un ensemble de paramètres aux interrelations complexes. Ainsi, l'aptitude d'Achatina fulica (Bowdich) à mémoriser un aliment à long terme a été mise en évidence par Croll et Chase en 1977. Les capacités de percevoir une odeur attractive et de remonter ses effluves jusqu'à l'origine chez les escargots sont mises en évidence par Farkas et Shorey en 1976. Enfin, les stades physiologiques des individus et phénologiques des plantes jouent un grand rôle. Toutefois, le préférendum constaté n'implique pas qu'il corresponde à un meilleur aliment pour la croissance et la reproduction, ni que les plantes préférées soient ingérées en plus grande quantité.

Conclusion

Au terme de cette étude, il convient de retenir que:

- Achatina achatina(Linné 1758) consomment expérimentalement une gamme variée de plantes sauvages et affectionnent les plantes riches en eau.

- Le préférendum n'est pas de prime abord lié à la composition chimique des végétaux. Ainsi une plante préférée peut ne pas être riche en éléments minéraux.

- Le meilleur aliment du point de vue de l'indice de transformation et de la composition chimique, est le couple Laportea aestuans / Phaulopsis falcisepala.

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