Livestock Research for Rural Development 12 (3) 2000

Citation of this paper

 

Devenir, performances de production et de reproduction de génisses laitières frisonnes pie noires importées au Maroc

Sraïri Mohamed Taher et Baqasse* Mustapha

Département des Productions Animales, Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II, 
B.P. 6202, Rabat – Instituts, 10101, Rabat, Maroc
Téléphone : + 212 7 77 24 84, Téléfax : + 212 7 77 81 35 
msrairi@hotmail.com 

* Société INAAM, 149, route des Ouled Ziane, Casablanca 05, Maroc


Résumé

Cette étude a visé à caractériser la viabilité et les niveaux de performances de génisses laitières gestantes importées d’Europe ou du Canada dans trois régions du Maroc (Doukkala, Haouz et Tadla). Les résultats montrent que pour 1024 de ces femelles, 41% ne réalisent pas une carrière complète de production, car décédées (7%), abattues ou commercialisées (34%) avant d’avoir achevé trois années dans les étables d’acquisition initiale, après l’importation. Leur sort est très étroitement lié à la zone où elles ont été placées. Au Tadla, région traditionnellement versée dans la production, les primipares d’importation sont surtout écartées du cheptel pour cause de faible productivité et de problèmes reproductifs, tandis qu’au Haouz, les réformes sont surtout motivées par les affections pathologiques et la reproduction.  Dans la région des Doukkala, périmètre très proche de l’agglomération de Casablanca, les vaches importées ont été vendues pour satisfaire un besoin urgent et croissant en viandes. 

Un suivi d’élevage avec contrôle laitier a révélé une sous-exploitation du potentiel de production car en moyenne le rendement en 305 j n’est que de 3560 kg. Ceci correspond à seulement la moitié des exigences formulées dans le cahier des charges des importateurs de bétail laitier au Maroc. De plus, 40% des primipares suivies n’étaient pas fécondées après deux inséminations, résultant en un intervalle vêlage saillie fécondante de 136 j. Enfin, seules 45% des génisses issues de ces primipares sont gardées pour le renouvellement, ce qui ne contribue pas à augmenter la taille du cheptel laitier au Maroc et s’oppose à la réalisation des objectifs escomptés de ces importations. 

Mots–clés : Génisses, Importation, Lait, Reproduction, Maroc

Summary

Production and reproduction performance of imported Friesian dairy heifers in Morocco

This study aimed to assess the survival and the productive performances of imported pregnant dairy heifers from Europe and Canada in Morocco. For this purpose, a detailed survey was conducted in three irrigated regions of the country (Doukkala, Haouz and Tadla) of 1024 heifers imported from 1996 to 1998. Results show that almost 41% of these females had short productive lifespan, as they were culled before 3 years of production (34%) or they simply died (7%). Significant differences were found between the three regions for the reasons of culling. In Tadla, where intensive dairying with exotic Friesian cows has been well accepted by farmers for a long time, the most decisive factor to sell imported cows is their low productivity. In the Haouz region, which is a newly irrigated area, reproduction failures and pathogenic infections are the principal causes for culling cows. In the Doukkala region, which is the nearest to the big city of Casablanca, imported cows are sold to satisfy an urgent and growing need for meat. 

The survey has also revealed that it is in the Tadla region where cows are intensively kept (73.3% of imports), in comparison to Doukkala (56.4%) or Haouz (55.0%). It has been discovered that only 45% of female calves of these imported cows were raised on farm to increase the dairy stock. Hence, this trend goes against the objectives behind the imports of pregnant heifers. On the other hand, 130 heifers imported from July till November 98 were identified and submitted to regular control to determine milk yield in 305 d. Results confirm the supremacy of Tadla region (3810 kg) above Doukkala (3724 kg) and Haouz (3292 kg), and also demonstrate that genetic abilities for milk production are largely misused. Reproduction failures were also detected as average days open were 136, without taking account of 21 cows which were sold due to long anoestrus period. Thus, it has been concluded that imported dairy cows level of performances under Moroccan smallholder conditions is rather poor. Hence, further research is needed to identify whether massive imports should be pursued or not, at a time when very few attempts have been made to raise locally bred heifers more suited for smallholders conditions. 

Key-words : Heifers, Imports, Dairy, Reproduction,Morocco 


Introduction

Au Maroc, depuis le lancement d’un "plan laitier", pour la satisfaction d’une demande croissante en protéines animales, la production de lait frais a connu un accroissement remarquable, passant de 461,6 en 1975 à 1020,2 millions de litres en 1998 (MADRPM 1999). Cette hausse a été rendue possible grâce à un ensemble de mesures directes en faveur des éleveurs de vaches laitières (Bourbouze et al 1989). Parallèlement, un ambitieux programme d’importation de génisses frisonnes gravides a été retenu, pour créer dans le pays un noyau de vaches à haut potentiel laitier et adaptées aux conditions locales. 

Il était initialement prévu d’importer 5000 génisses pleines par an, mais avec la libéralisation progressive de l’économie marocaine, cet objectif a été amplement dépassé. Ainsi, depuis 1988, une moyenne de 25000 génisses sont injectées annuellement dans le cheptel laitier. Même si elles ont contribué à l’augmentation de la production laitière du pays (Guessous 1991), il semble que leur potentiel est loin d’être d’exploité. Comme il a été suggéré par divers auteurs (Combellas et al 1981, Gyawu et al 1988, Mbap et Ngere 1989, Ørskov 1993), les vaches frisonnes ne seraient pas l’alternative la plus appropriée dans les pays en développement, surtout dans des conditions environnementales limitantes. Dans le cas spécifique du Maroc, alors que le pays est sous la coupe d’un programme d’ajustement structurel qui dicte une contraction des importations (Talha 1994), paradoxalement, d’importantes sommes de devises étrangères sont affectées aux achats de génisses. Certes, plusieurs essais en stations et des diagnostics dans des exploitations privées à haut niveau de capitalisation, ont prouvé que les vaches frisonnes atteignent des niveaux de productivité satisfaisants avec des rendements laitiers dépassant les 5000 kg par lactation (Lakhdissi et al 1988, Srairi et Kessab 1998), mais peu de renseignements sont disponibles sur le sort des génisses pleines importées lorsqu’elles sont acquises par de petits éleveurs. Or, ceux-ci représentent plus de 85% de la population des éleveurs et détiennent 74,8% du cheptel bovin, constituant le pilier de l’amont laitier (MADPRMl 1998).

Aussi, dans ces conditions, ce travail vise à étudier le devenir, la production laitière et les performances de reproduction de génisses frisonnes importées, afin de procéder à un bilan zootechnique préliminaire à ce volet particulièrement touffu de l’élevage marocain.  


Matériel et méthodes

Régions d’étude 

Il a été convenu de ne cibler que des régions agricoles disposant de l’infrastructure d’irrigation (grande hydraulique avec barrage), puisque ce sont par essence des zones de production laitière. Ce choix se justifie aussi par l’importance des effectifs en génisses importées qu’elles reçoivent et qui représentent, pour l’année 98, plus de 80% de l’effectif total importé (MADRPM 1999). Ainsi, les périmètres irrigués des Doukkala (200 km au Sud de Rabat), du Tadla (200 km à l’Est de Rabat) et du Haouz (300 km au Sud-Est de Rabat) ont été retenus, ce qui intègre les zones laitières les plus importantes du pays, puisqu’à elles seules ces trois régions assurent plus de 75% de la production totale en lait du pays (MADRPM 1999). 

Méthodologie 
L’approche à la problématique du devenir et des niveaux de production des génisses importées a été scindée en deux volets de travail bien distincts :

Dans ce domaine, la combinaison d’enquêtes de type rétrospectif et de suivis d’élevage est devenue très classique dans les recherches sur les systèmes d’élevage, car elle permet d’adjoindre à des données d’enquête de fiabilité aléatoire, basées sur la mémoire des éleveurs, des résultats de suivi des animaux nettement plus réels et précis (Roeleveld et Van Den Broek, 1999). Les deux aspects du travail fournissent alors une vision plus globale et correcte du fonctionnement de ces systèmes. 

Enquêtes rétrospectives 

Des enquêtes ont été menées au gré des rencontres des éleveurs dans les coopératives de collecte du lait pour caractériser les paramètres de structure de leurs exploitations (superficie agricole, effectif du cheptel,…), avant de préciser le devenir des génisses importées (mortalité, réforme, abattage, ou conservation) et le sort de leur descendance. Cette enquête a couvert trois campagnes d’importation, de 1996 à 1998, et a concerné 184 élevages où 1024 génisses importées avaient été acquises.

Suivi d’élevage 

Un suivi rapproché des performances des génisses importées a été instauré au titre de la campagne agricole 98/99. Il a visé la détermination des performances de production, moyennant un contrôle laitier partiel (3 passages par exploitation de novembre 98 à mai 99). Un sous-échantillon d’exploitations faisant l’objet des enquêtes rétrospectives, qui ont reçu des génisses importées à partir de juillet 98, a été retenu. Cent trente génisses ont été identifiées, et leurs rendements laitiers totaux ont été calculés par l’utilisation de formules de prédiction des résultats de lactation à partir des lactations partielles, en l’absence d’un contrôle laitier officiel. Ces formules, déjà existantes, ont été établies au Maroc à partir des résultats du contrôle laitier officiel de vaches frisonnes, et elles permettent de déterminer avec un degré de précision acceptable les rendements totaux à partir de 2 à 3 contrôles mensuels (du 1er au 5ème mois de lactation). Ces formules se présentent comme suit :

Y = 1089 + 2.34 X3 + 4.71 X4                           R2 = 79.6%

Y = 1050 + 3.51 X4 + 4.14 X5                           R2 = 81.5%

Y =  733 + 4.07 X2 - 3.27 X3 + 6.72 X4             R2 = 84.3%

Y représente la production laitière de référence (305 j) en kg, X2, X3, X4 et X5, les productions laitières mensuelles simples (en kg) des 2ème, 3ème, 4ème, et 5ème mois de lactation (Boujenane et Ayari 1997). 

R2 représente le degré de précision de prédiction de la production laitière de référence. 

Le suivi a aussi concerné le comportement reproductif post-partum des primipares importées, par la détermination des intervalles vêlages - première saillie et vêlage - saillie fécondante.

Analyses statistiques 
Les données brutes des enquêtes rétrospectives et du suivi d’élevage ont été saisies grâce à un tableur puis exploitées en vue de faire ressortir les paramètres zootechniques les plus probants en élevage laitier : production de lait à 305 j, intervalles vêlage - vêlage, vêlage - première saillie, vêlage - saillie fécondante, taux d’avortement, mortalité des veaux, mortalité des vaches et causes de réforme des primipares. Pour chaque paramètre, les statistiques descriptives élémentaires (moyennes, écart–types et proportions) ont été calculées.

Un test c2 a été appliqué aux données de l’enquête rétrospective afin de tester l’indépendance entre le devenir des génisses et les zones de l’étude, d’une part, et entre les motifs de vente et les zones, d’autre part. En cas de dépendance entre ces variables, elles ont été soumises à une analyse factorielle des correspondances (AFC) pour préciser les relations les liant, grâce à l’utilisation du logiciel STATITCF (1991).


Résultats

Caractérisation des exploitations agricoles et origines des génisses importées 
Les exploitations concernées par les enquêtes rétrospectives ont été réparties selon 4 classes de superficie agricole utile (SAU) comme le montre le tableau 1. La SAU moyenne par exploitation est de 10.3 ± 1.3 ha. Les exploitations de moins de 10 ha représentent 65.2% de l’effectif et ne disposent que de 22.4% de la superficie exploitée. Les exploitations de plus de 20 ha, qui ne représentent que 17.0% de l’effectif total de l’échantillon, possèdent 46.6 % de la SAU. Les superficies fourragères, occupées exclusivement par le bersim (trèfle d’Alexandrie), la luzerne, l’orge en déprimage, et le maïs fourrager, représentent 35.6 % de la SAU totale. 

Tableau 1 : Répartition des exploitations agricoles et nombre de génisses importées par classe de SAU

Classe de SAU (ha)

Exploitations agricoles

Superficie agricole exploitée

Nombre moyen de génisses

Nombre

En  %  du  total

Totale par classe

En %  du  total

0 à 5

56

30.4

153.5

8.0

4.33

5 à 10

64

34.8

424.9

22.4

5.09

10 à 20

33

17.9

436.6

23.0

7.33

Au delà de 20

31

16.8

885.0

46.6

6.87

Total

184

100

1900.0

100

5.61

 La figure 1 montre que les éleveurs dont la SAU est inférieure à 10 ha ont bénéficié de 55.5% des génisses importées à partir de 1996. Le nombre de vaches importées à partir de 1996 par éleveur s’élève en moyenne à 5.6 vaches, soit 2 à 3 têtes par an.

L’origine des génisses pie noires, retrouvée à partir de leur pedigrees, montre que les Pays-Bas sont de loin le premier pays fournisseur avec une part de 50% de l’effectif total, suivi du Danemark, de la France, du Canada et de l’Allemagne (tableau 2). 

Tableau 2 : Répartition des génisses importées selon leur pays d’origine pour les trois régions

Pays d’origine

Doukkala

Haouz

Tadla

Total par pays

Pourcentage par pays

Hollande

143

212

157

512

50

Danemark

  10

220

 19

249

24

France

192

  17

 30

239

23

Canada

   0

    0

 16

16

2

Allemagne

    0

   4

   4

8

1

Total

345

453

226

1024

100

Devenir des génisses et de leurs produits  
Devenir des génisses

Au bout des trois campagnes incluses dans cette étude, l’enquête rétrospective montre que 41% des génisses introduites ont disparu des élevages qui les ont réceptionnées, soit par revente (34% de l’effectif total) ou par décès (7%). Les ventes surviennent, par ordre décroissant, aux moments de besoins de trésorerie, en cas de problèmes de reproduction, et seulement ensuite pour des raisons de faible production ou d’affections pathologiques (tableau III). Par ailleurs, l’analyse de fréquence des durées de séjour des vaches avant leur décès a révélé que 54% de l’effectif total décédé a passé moins d’une année dans les élevages, pour respectivement 33 et 13% qui ont séjourné plus d’un an et plus de deux ans dans les exploitations. 

Tableau 3: Causes de réforme (en %) des génisses pleines importées

Région

Besoin de trésorerie

Problèmes de reproduction

Faible production

Maladies

Doukkala

40.1

23.7

22.8

13.4

Haouz

28.6

36.3

12.7

22.8

Tadla

17.4

26.1

39.1

17.4

Moyenne

31.4

30.2

19.8

18.6

Le test c2 appliqué d’une part aux proportions relatives de ventes, de décès, et de génisses gardées dans les trois régions, et d’autre part aux motifs de vente dans ces mêmes régions a montré qu’il existait une relation significative entre ces paramètres (tableaux 5 et 5). Aussi, les données ont-elles été soumises à une analyse factorielle des correspondances. 

Tableau 4 : Résultats du test c2  appliqué au devenir des génisses et à la zone d’importation

 

Devenir des génisses (en %)

 

Zone

Revendues

Décédées

Gardées

Total

Doukkala

12.40 (11.32)*

2.25 (2.30)*

19.04 (20.07)*

  33.69

Haouz

16.70 (14.86)*

3.22 (3.02)*

24.32 (26.35)*

  44.24

Tadla

   4.49  (7.41)*

1.37 (1.51)*

16.21 (13.15)*

  22.07

Total

33.59

6.84

59.57

100.00

  

Tableau 5: Résultats du test c2  appliqué aux motifs de vente des génisses et à la zone d’importation

 

Motif de vente des génisses (en % des génisses vendues)

 

Zone

Besoins de trésorerie

Faible production

Problèmes de reproduction

Pathologies

 Total

Doukkala

14.83   (11.59)*

8.72   (11.16)*

8.43   (7.30)*

4.94   (6.87)*

  36.92

Haouz

14.24   (15.61)*

18.02    (15.03)*

6.10   (9.83)*

11.34    (9.25)*

  49.71

Tadla

   2.33    (4.20)*

 3.49     (4.04)*

5.23   (2.64)*

2.33     (2.49)*

  13.37

Total

31.40

30.23

19.77

18.60

100.00

14.83 : Proportion observée    (11.59)* : Proportion théorique      c2 = 28.2                Degrés de liberté : 6

 L’étude simultanée des proportions gardées, mortes ou vendues montre que la région du Tadla est celle où les vaches sont le plus gardées, par opposition aux périmètres du Haouz et des Doukkala, où plus de vaches sont revendues et décédées. La vente des bovins d’importation pour un motif de faible production concerne uniquement la zone du Tadla, tandis que dans la région des Doukkala, le besoin en argent liquide est la raison dominante. Au Haouz, ce sont plus les problèmes de reproduction et de maladies qui sont les plus impliqués dans la réforme des vaches.


Figure 1 : Répartition des effectifs de vaches importées par classe de SAU. 

 
Le suivi a permis de valider les résultats généraux issus des enquêtes, puisque sur les 130 génisses initialement retenues, 21 ont disparu par mortalité et revente de novembre 98 à mai 99, soit un pourcentage de disparition de près de 16.2% en six mois.               

Destinées des produits des vaches importées 

Parmi les descendants de l’échantillon de primipares étudiées, 63.1% ont été vendus. A peine, 45.2% des veaux femelles issues des génisses importées sont gardées par les éleveurs pour le renouvellement. Lorsqu’elles ne sont pas gardées, les femelles sont commercialisées plus jeunes que les mâles (8.2 mois contre 15.3 mois). Le taux de mortalité par catégorie d’âge, déterminé sur l’ensemble des produits issus des vaches importées figurent dans le tableau 6. Les principales causes sont les diarrhées (35.6% des cas), les pneumonies (33.7%), les dystocies (14.1%) et diverses autres manifestations pathologiques non diagnostiquées (16.6%). 

Tableau 6: Taux de mortalité (en %) des veaux par classe d’âge

 

0-24 heures

24h – sevrage

Sevrage-1 an

Total

Doukkala

4.7

3.2

2.8

10.7

Haouz

6.7

3.7

5.3

15.7

Tadla

4.0

2.4

2.7

9.1

Moyenne

5.3

3.1

3.7

12.1

Performances de production des vaches importées 
La production laitière moyenne de référence (305 j de lactation), calculée pour les 109 vaches étant encore sur les exploitations jusqu’au mois de mai 99, a été de 3562.0 ± 561.7 kg. Elle varie d’un minimum de 2138.6 kg enregistré pour une vache au Haouz, à un maximum de 4659.8 kg réalisé au Tadla. Par région, les valeurs moyennes de la production laitière en 305 j. et les pics de lactation sont consignés dans le tableau 7.  

Tableau 7: Moyennes (en kg) des productions laitières de référence (305 j) et des pics de lactation des primipares importées

Région

Production de référence

Pics de lactation

Doukkala

3724.6 ± 483.3

14.4 ± 3.7

Haouz

3292.2 ± 506.9

12.3 ± 2.6

Tadla

3810.1 ± 560.4

15.6 ± 4.2

Moyenne

3562.0 ± 561.7

14.0 ± 3.5

Performances de reproduction 

Le taux moyen d’avortement pour les 130 génisses étudiées s’élève à 7.4 ± 1.3 %. Près de 23% des vêlages étaient déclarés comme dystociques. Après la parturition, le suivi du comportement de reproduction des vaches a montré que l’intervalle moyen entre le vêlage et la première saillie est de 104.3 ± 32.6 j, tandis que l’intervalle vêlage – fécondation moyen est égal à 136.3 ± 24.8 j (tableau 8). 

Tableau 8:  Intervalles   vêlage - 1ère saillie   et   vêlage - saillie fécondante des primipares importées

Zones

V--1ère Saillie (j)

N*

  V--S fécondante (j)

N*

Doukkala

97.0 ± 30.4

41

132.4 ± 30.1

32

Tadla

100.1 ± 30.6

36

134.0 ± 21.1

22

Haouz

113.9 ± 34.1

47

140.6 ± 22.0

41

Moyenne

104.3 ± 32.7

124

136.3 ± 24.8

95

* N : nombre d’observations

Le pourcentage de réussite des premières saillies n ’est que de 27.7%. L’indice coïtal (IC) résultant de ces observations a été calculé selon la formule suivante : 

IC = Nombre total de saillies/Nombre de saillies fécondantes

 L’IC moyen est de 2.41, ce qui est très élevé par rapport aux normes pour un élevage laitier avec une fonction de reproduction maîtrisée (tableau 9). 

Tableau 9: Réussite des saillies chez les primipares importées et indice coïtal

 

Pourcentage de réussite

Indice coïtal

 En 1ère Ins.*

En 2ème Ins.*

En 3ème Ins.* et plus

Doukkala

29.0

29.0

41.9

2.32 ± 1.15

Tadla

31.8

22.7

45.5

2.36 ±1.18

Haouz

24.4

31.7

43.9

2.51 ±1.36

Moyenne

27.7

28.7

43.6

2.41 ±1.24

Ins.* : Insémination


Discussion 

Dans l’échantillon de travail, les exploitations les plus petites (0 à 10 ha), qui représentent les 2/3 de l’effectif total, ne couvrent que 22% de la SAU. Elles détiennent cependant 55.5% des génisses importées. Cette tendance des petites exploitations à plus s’investir dans l’élevage est mentionnée dans diverses autres études au Maroc ou dans d’autres pays en développement (De Jong 1996, Schiere 1996, Srairi et Medkouri, sous presse ). Elle est due à la diversité des rôles qu’assure l’élevage bovin, notamment pour les plus démunis, tels que l’épargne ou la valorisation à un moment donné d’un surplus de biomasse, ou de main-d’œuvre familiale.

Moins de 60% des génisses importées ne réalisent pas une carrière "normale" car vendues ou décédées avant d’avoir passé trois années sur l’exploitation où elles ont été initialement reçues. Cette "réforme" est de très loin supérieure aux normes pour un élevage laitier rentable, surtout qu’elle concerne des primipares, et entraîne des pertes économiques importantes (Van Arendonk 1985). Au delà, l’analyse des taux annuels de décès des génisses révèle une adaptation progressive de ces bovins à leur milieu d’élevage. En effet, 54% de l’effectif total est décédé au cours de la première année, pour respectivement 33 et 13% au cours des deuxième et troisième années. Un constat similaire est rapporté en Afrique sub-saharienne (Gyawu et al 1988). 

L’analyse des causes de disparition des génisses montre l’importance des ventes (34%) par rapport aux décès (7%). Ceci peut être expliqué par le mode de financement adopté par les agriculteurs pour les acquérir: ils les paient moyennant un prélèvement quotidien sur le lait qu’elles vont produire, sans aucun intérêt. L’achat d’une génisse représente ainsi une sorte de crédit bancaire, octroyé par la société qui collecte et transforme le lait et qui est aussi importatrice des génisses. Cet aspect est d’autant plus important à considérer dans un contexte où les institutions bancaires sont loin d’être facilement accessibles aux agriculteurs (Mc Dowell 1981). Il peut expliquer les ventes massives de génisses après leur arrivée; plusieurs éleveurs s’inscrivant sur les listes d’obtention des génisses beaucoup plus pour bénéficier d’un capital animal facilement commercialisable et qu’ils pourront rembourser ultérieurement, que par souci réel de produire du lait. 

Les résultats de l’analyse factorielle des correspondances (AFC) montrent des différences significatives entre régions. La région du Tadla, historiquement premier périmètre irrigué du Maroc, se distingue des deux autres régions par un meilleur pourcentage de génisses gardées et par des réformes surtout motivées par de mauvaises productivités en lait, et à un degré moindre par les déboires de la reproduction. Il semble donc que les éleveurs de cette région aient acquis un certain savoir-faire, par rapport aux autres. Dans les Doukkala, périmètre très proche de l’agglomération de Casablanca, c’est surtout le besoin en liquidités qui détermine les réformes. La longue tradition des éleveurs de cette région dans l’approvisionnement en viandes de la concentration urbaine de Casablanca peut expliquer les ventes massives ; certains éleveurs ayant déclaré qu’ils pouvaient facilement réceptionner une génisse un jour donné et la convoyer au marché pour être abattue juste après le vêlage, car le prix qu’ils en perçoivent leur est favorable. Bien sûr, la supériorité du prix du kilogramme de viande sur le marché marocain par rapport au prix d’acquisition du kg de viande des génisses est un argument décisif pour opérer ce genre de transaction. Dans le Haouz, périmètre qui vient d’être irrigué, et où l’élevage de bovins laitiers est nettement plus récent par rapport à une longue tradition d’élevage ovin et bovin allaitant, les résultats traduisent nettement la plus faible maîtrise de l’élevage laitier. Les réformes se font ici surtout à cause de problèmes de reproduction après le vêlage et aussi en raison d’une plus forte incidence de maladies. Il faut d’ailleurs mentionner que la nouveauté de l’élevage laitier intensif se conjugue, au Haouz, avec un climat plus sec et surtout plus chaud que dans les deux autres régions. Ceci ne peut qu’accroître les difficultés d’adaptation des génisses importées, car l’effet négatif des températures estivales sur la reproduction a été rapporté par divers auteurs (Berbigier 1988). 

Les taux de mortalité des descendants des primipares importées sont de l’ordre de 12%, ce qui est très supérieur à la norme tolérée pour un élevage bovin. De très importants manques à gagner existent à ce niveau et proviennent de l’accumulation de tous les stress que subissent les bovins d’origine étrangère: changement climatique, sous-alimentation, quarantaine au port, nouveau microbisme (Flamant 1991, Vaccaro 1990). Par ailleurs, seules 45,2% des femelles sont conservées pour le renouvellement, ce qui correspond à moins de 23% de la totalité des descendants de toutes les vaches importées. Certains auteurs considèrent que ce genre de tendances constitue un sérieux camouflet à la volonté affichée par les pouvoirs publics de favoriser le peuplement du pays par des bovins de race plus laitière par la conservation des descendants femelles des génisses d’importation (De Jong 1996, Guessous 1991). Sur le terrain, les éleveurs expliquent la vente des génisses nées au Maroc par leur coût de revient trop élevé en cas d’élevage jusqu’au premier vêlage, surtout qu’elles seront concurrencées par les éternels arrivages de génisses pleines importées, après la libéralisation du commerce extérieur, et même en l’absence de toute subvention. Cependant, ce type de logique ne peut que compromettre toute tentative de sélection d’un type de bovins laitiers adapté aux conditions d’élevage local (Mc Dowell 1981). 

Le suivi d’élevage montre une moyenne de production laitière par lactation de référence de 3562.0 ± 167.1 kg. Au delà des différences régionales qui confirment les observations de l’enquête rétrospective (supériorité de la zone du Tadla par rapport aux Doukkala et au Haouz), cette moyenne indique clairement une sous-exploitation du potentiel de production des primipares importées. Elle est environ de moitié inférieure aux exigences stipulées par le cahier des charges instauré par les importateurs au Maroc, et qui fixe à 6000 kg par lactation les aptitudes laitières des génisses introduites dans le pays (MADRPM 1999). Cette performance est cependant proche des résultats relatifs à la productivité des bovins laitiers d’origine européenne en zone tropicale, évalués chez des petits éleveurs (De Jong 1996, Gyawu et al 1988, Lafi et al 1995, Mbap et Ngere 1989, Msanga et al 2000). Elle prouve que diverses limitations environnementales (alimentaires et sanitaires notamment) s’opposent à une productivité optimale qui permette de tirer profit du sacrifice économique pour les petits éleveurs, consenti lors de ces importations de bétail laitier. De même, l’évaluation des indices de la reproduction des vaches pie-noires importées confirme la mauvaise gestion de ces élevages. Ainsi, en moyenne plus de 43% des primipares ont nécessité 3 inséminations et plus pour être fécondées, ce qui aboutit à un intervalle vêlage–saillie fécondante de 136,3 j, très supérieur aux 90 j optimaux. Il faut en outre préciser que ce paramètre n’a été calculé que pour les primipares gardées et il ne reflète donc que par défaut l’ampleur du problème. En effet, pour les cas les plus problématiques (retours en chaleurs très tardifs, au delà de 150 j après le vêlage), les éleveurs procèdent à la réforme, ce qui explique les 16% de génisses disparues au cours du suivi. Une tendance similaire est constatée par de nombreuses publications dans d’autres pays, et elles mettent toutes en exergue la part prépondérante des échecs de la reproduction dans les contre-performances du bétail laitier importé des pays tempérés (De Jong 1996, Mbap et Ngere 1989, Parmar et Gill 1988). 


Conclusion 

L’évaluation des performances des génisses laitières d’origine étrangère, au Maroc, a montré qu’une proportion de près de 40% de ces femelles n’accomplissaient pas une carrière productive "normale". En plus des 7% décédées, 34% ont été revendues par leurs propriétaires, soit pour des raisons de besoins de trésorerie, ou à cause de leur mauvais comportement productif. Moins de 50% des produits femelles de ces primipares importées sont conservées pour accroître la taille du cheptel laitier du pays, contrecarrant les effets bénéfiques attendus de ces campagnes d’importation par les décideurs. Les éleveurs arguent de la régularité des importations de bétail qui les dissuadent de garder des femelles dont le prix de revient au vêlage sera forcément supérieur à celui des vaches d’origine étrangère. Le suivi des performances détaille les manques à gagner issus de ces importations de vaches pie noires. En plus de rendements laitiers moyens de 3500 kg, inférieurs de moitié au potentiel génétique affiché par ces vaches, leurs résultats reproductifs sont fort préoccupants. Ainsi, plus de 40% de ces primipares ne sont toujours pas fécondées à la troisième insémination. Les disparités régionales relevées et qui placent en tête la région du Tadla par rapport au Haouz et aux Doukkala, montrent l’importance des facteurs historiques et organisationnels pour l’évaluation des systèmes de production laitière au Maroc. En effet, la région pionnière du Tadla est celle qui, historiquement, s’est la plus résolument engagée dans l’élevage de bovins laitiers, tandis que la zone où les résultats sont les moins bons (Haouz) est celle où l’introduction massive de vaches étrangères est la plus récente. Du coup, le savoir-faire des éleveurs y est encore rudimentaire. Toutefois, ces différences ne doivent pas voiler l’ampleur du problème: globalement une sous-productivité flagrante des vaches d’importation et surtout d’innombrables déboires de la reproduction, qui débouchent sur des carrières de production écourtées par les réformes, les reventes et les mortalités. Certes, les prix de ces génisses sur les marchés étrangers sont attrayants par rapport à ceux des génisses nées et élevées au Maroc, même en l’absence de toute subvention locale pour en encourager l’acquisition, ce qui continue de susciter une demande accrue. Mais sans l’intégration du coût économique de leurs difficultés d’adaptation (mortalité, avortement, durée d’anoestrus post-partum, pertes de production, réformes précoces...), et sans l’instauration d’une réelle traçabilité de leur sort après leur débarquement au Maroc, la comparaison, sur des bases de prix et de productivité, avec les primipares nées localement risque de ne jamais être équitable, retardant la constitution sur place d’un noyau de bovins adaptés aux conditions locales et disposant d’un potentiel laitier meilleur que celui des bovins de races marocaines (Brune de l’Atlas et Blonde d’Oulmès-Zaër).


Références Bibliographiques 

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Received 17 February 2000 

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