Livestock Research for Rural Development 12 (3) 2000 | Citation of this paper |
Cette étude a visé à caractériser la viabilité et les niveaux de performances de génisses laitières gestantes importées dEurope ou du Canada dans trois régions du Maroc (Doukkala, Haouz et Tadla). Les résultats montrent que pour 1024 de ces femelles, 41% ne réalisent pas une carrière complète de production, car décédées (7%), abattues ou commercialisées (34%) avant davoir achevé trois années dans les étables dacquisition initiale, après limportation. Leur sort est très étroitement lié à la zone où elles ont été placées. Au Tadla, région traditionnellement versée dans la production, les primipares dimportation sont surtout écartées du cheptel pour cause de faible productivité et de problèmes reproductifs, tandis quau Haouz, les réformes sont surtout motivées par les affections pathologiques et la reproduction. Dans la région des Doukkala, périmètre très proche de lagglomération de Casablanca, les vaches importées ont été vendues pour satisfaire un besoin urgent et croissant en viandes.
Un suivi
délevage avec contrôle laitier a révélé une sous-exploitation du potentiel de
production car en moyenne le rendement en 305 j nest que de 3560 kg. Ceci correspond
à seulement la moitié des exigences formulées dans le cahier des charges des
importateurs de bétail laitier au Maroc. De plus, 40% des primipares suivies
nétaient pas fécondées après deux inséminations, résultant en un intervalle
vêlage saillie fécondante de 136 j. Enfin, seules 45% des génisses issues de ces
primipares sont gardées pour le renouvellement, ce qui ne contribue pas à augmenter la
taille du cheptel laitier au Maroc et soppose à la
réalisation des objectifs escomptés de ces importations.
Production and reproduction performance of imported
Friesian dairy heifers in Morocco
This study aimed to assess the survival and the productive performances of imported pregnant dairy heifers from Europe and Canada in Morocco. For this purpose, a detailed survey was conducted in three irrigated regions of the country (Doukkala, Haouz and Tadla) of 1024 heifers imported from 1996 to 1998. Results show that almost 41% of these females had short productive lifespan, as they were culled before 3 years of production (34%) or they simply died (7%). Significant differences were found between the three regions for the reasons of culling. In Tadla, where intensive dairying with exotic Friesian cows has been well accepted by farmers for a long time, the most decisive factor to sell imported cows is their low productivity. In the Haouz region, which is a newly irrigated area, reproduction failures and pathogenic infections are the principal causes for culling cows. In the Doukkala region, which is the nearest to the big city of Casablanca, imported cows are sold to satisfy an urgent and growing need for meat.
The survey has also revealed that it is in the Tadla region where cows are
intensively kept (73.3% of imports), in comparison to Doukkala (56.4%) or Haouz (55.0%).
It has been discovered that only 45% of female calves of these imported cows were raised
on farm to increase the dairy stock. Hence, this trend goes against the objectives behind
the imports of pregnant heifers. On the other hand, 130 heifers imported from July till
November 98 were identified and submitted to regular control to determine milk yield in
305 d. Results confirm the supremacy of Tadla region (3810 kg) above Doukkala (3724 kg)
and Haouz (3292 kg), and also demonstrate that genetic abilities for milk production are
largely misused. Reproduction failures were also detected as average days open were 136,
without taking account of 21 cows which were sold due to long anoestrus period. Thus, it
has been concluded that imported dairy cows level of performances under Moroccan
smallholder conditions is rather poor. Hence, further research is needed to identify
whether massive imports should be pursued or not, at a time when very few attempts have
been made to raise locally bred heifers more suited for smallholders conditions.
Au Maroc, depuis le
lancement dun "plan laitier", pour la satisfaction dune demande
croissante en protéines animales, la production de lait frais a connu un accroissement
remarquable, passant de 461,6 en 1975 à 1020,2 millions de litres en 1998 (MADRPM 1999).
Cette hausse a été rendue possible grâce à un ensemble de mesures directes en faveur
des éleveurs de vaches laitières (Bourbouze et al 1989). Parallèlement, un ambitieux
programme dimportation de génisses frisonnes gravides a été retenu, pour créer
dans le pays un noyau de vaches à haut potentiel laitier et adaptées aux conditions
locales.
Il était
initialement prévu dimporter 5000 génisses pleines par an, mais avec la
libéralisation progressive de léconomie marocaine, cet objectif a été amplement
dépassé. Ainsi, depuis 1988, une moyenne de 25000 génisses sont injectées annuellement
dans le cheptel laitier. Même si elles ont contribué à laugmentation de la
production laitière du pays (Guessous 1991), il semble que leur potentiel est loin
dêtre dexploité. Comme il a été suggéré par divers auteurs (Combellas et
al 1981, Gyawu et al 1988, Mbap et Ngere 1989, Ørskov 1993), les vaches frisonnes ne
seraient pas lalternative la plus appropriée dans les pays en développement,
surtout dans des conditions environnementales limitantes. Dans le cas spécifique du
Maroc, alors que le pays est sous la coupe dun programme dajustement
structurel qui dicte une contraction des importations (Talha 1994), paradoxalement,
dimportantes sommes de devises étrangères sont affectées aux achats de génisses.
Certes, plusieurs essais en stations et des diagnostics dans des exploitations privées à
haut niveau de capitalisation, ont prouvé que les vaches frisonnes atteignent des niveaux
de productivité satisfaisants avec des rendements laitiers dépassant les 5000 kg par
lactation (Lakhdissi et al 1988, Srairi et Kessab 1998), mais peu de renseignements sont
disponibles sur le sort des génisses pleines importées lorsquelles sont acquises
par de petits éleveurs. Or, ceux-ci représentent plus de 85% de la population des
éleveurs et détiennent 74,8% du cheptel bovin, constituant le pilier de lamont
laitier (MADPRMl 1998).
Aussi, dans ces
conditions, ce travail vise à étudier le devenir, la production laitière et les
performances de reproduction de génisses frisonnes importées, afin de procéder à un
bilan zootechnique préliminaire à ce volet particulièrement touffu de lélevage
marocain.
Il
a été convenu de ne cibler que des régions agricoles disposant de linfrastructure
dirrigation (grande hydraulique avec barrage), puisque ce sont par essence des zones
de production laitière. Ce choix se justifie aussi par limportance des effectifs en
génisses importées quelles reçoivent et qui représentent, pour lannée 98,
plus de 80% de leffectif total importé (MADRPM 1999).
Ainsi, les périmètres irrigués des Doukkala (200 km au Sud de Rabat), du Tadla (200 km
à lEst de Rabat) et du Haouz (300 km au Sud-Est de Rabat) ont été retenus, ce qui
intègre les zones laitières les plus importantes du pays, puisquà elles seules
ces trois régions assurent plus de 75% de la production totale en lait du pays (MADRPM
1999).
Dans
ce domaine, la combinaison
denquêtes de type rétrospectif et de suivis délevage est devenue très
classique dans les recherches sur les systèmes délevage, car elle permet
dadjoindre à des données denquête de fiabilité aléatoire, basées sur la
mémoire des éleveurs, des résultats de suivi des animaux nettement plus réels et
précis (Roeleveld et Van Den Broek, 1999). Les deux aspects du travail fournissent alors
une vision plus globale et correcte du fonctionnement de ces systèmes.
Des enquêtes ont été menées au gré des rencontres des éleveurs dans les coopératives de collecte du lait pour caractériser les paramètres de structure de leurs exploitations (superficie agricole, effectif du cheptel, ), avant de préciser le devenir des génisses importées (mortalité, réforme, abattage, ou conservation) et le sort de leur descendance. Cette enquête a couvert trois campagnes dimportation, de 1996 à 1998, et a concerné 184 élevages où 1024 génisses importées avaient été acquises.
Un suivi
rapproché des performances des génisses importées a été instauré au titre de la
campagne agricole 98/99. Il a visé la détermination des performances de production,
moyennant un contrôle laitier partiel (3 passages par exploitation de novembre 98 à mai
99). Un sous-échantillon dexploitations faisant lobjet des enquêtes
rétrospectives, qui ont reçu des génisses importées à partir de juillet 98, a été
retenu. Cent trente génisses ont été identifiées, et leurs rendements laitiers totaux
ont été calculés par lutilisation de formules de prédiction des résultats de
lactation à partir des lactations partielles, en labsence dun contrôle
laitier officiel. Ces formules, déjà existantes, ont été établies au Maroc à partir
des résultats du contrôle laitier officiel de vaches frisonnes, et elles permettent de
déterminer avec un degré de précision acceptable les rendements totaux à partir de 2
à 3 contrôles mensuels (du 1er au 5ème mois de lactation). Ces
formules se présentent comme suit :
Y = 1089 + 2.34 X3
+ 4.71 X4
R2 = 79.6%
Y = 1050 + 3.51 X4
+ 4.14 X5
R2 = 81.5%
Y = 733 + 4.07 X2 - 3.27 X3 +
6.72 X4
R2 = 84.3%
Y représente la
production laitière de référence (305 j) en kg, X2, X3, X4
et X5, les productions laitières mensuelles simples (en kg) des 2ème,
3ème, 4ème, et 5ème mois de lactation (Boujenane et
Ayari 1997).
R2
représente le degré de précision de prédiction de la production laitière de
référence.
Le suivi a aussi concerné le comportement reproductif post-partum des primipares importées, par la détermination des intervalles vêlages - première saillie et vêlage - saillie fécondante.
Un test c2 a été
appliqué aux données de lenquête rétrospective afin de tester
lindépendance entre le devenir des génisses et les zones de létude,
dune part, et entre les motifs de vente et les zones, dautre part. En cas de
dépendance entre ces variables, elles ont été soumises à une analyse factorielle des
correspondances (AFC) pour préciser les relations les liant, grâce à lutilisation
du logiciel STATITCF (1991).
Tableau 1 : Répartition des exploitations agricoles
et nombre de génisses importées par classe de SAU |
|||||
Classe de SAU (ha) |
Superficie agricole
exploitée |
Nombre
moyen de génisses |
|||
Nombre |
En % du total |
Totale par classe |
En
% du total |
||
0 à 5 |
56 |
30.4 |
153.5 |
8.0 |
4.33 |
5 à 10 |
64 |
34.8 |
424.9 |
22.4 |
5.09 |
10 à 20 |
33 |
17.9 |
436.6 |
23.0 |
7.33 |
Au delà de 20 |
31 |
16.8 |
885.0 |
46.6 |
6.87 |
Total |
184 |
100 |
1900.0 |
100 |
5.61 |
La
figure 1 montre que les éleveurs dont la SAU est inférieure à 10 ha ont bénéficié de
55.5% des génisses importées à partir de 1996. Le nombre de vaches importées à partir
de 1996 par éleveur sélève en moyenne à 5.6 vaches, soit 2 à 3
têtes par an.
Lorigine
des génisses pie noires, retrouvée à partir de leur pedigrees, montre que les Pays-Bas
sont de loin le premier pays fournisseur avec une part de 50% de leffectif total,
suivi du Danemark, de la France, du Canada et de lAllemagne (tableau 2).
Tableau 2 : Répartition des génisses importées
selon leur pays dorigine pour les trois régions |
|||||
Pays
dorigine |
Doukkala |
Haouz |
Tadla |
Total
par pays |
Pourcentage
par pays |
Hollande |
143 |
212 |
157 |
512 |
50 |
Danemark |
10 |
220 |
19 |
249 |
24 |
France |
192 |
17 |
30 |
239 |
23 |
Canada |
0 |
0 |
16 |
16 |
2 |
Allemagne |
0 |
4 |
4 |
8 |
1 |
Total |
345 |
453 |
226 |
1024 |
100 |
Au bout des trois
campagnes incluses dans cette étude, lenquête rétrospective montre que 41% des
génisses introduites ont disparu des élevages qui les ont réceptionnées, soit par
revente (34% de leffectif total) ou par décès (7%). Les ventes surviennent, par
ordre décroissant, aux moments de besoins de trésorerie, en cas de problèmes de
reproduction, et seulement ensuite pour des raisons de faible production ou
daffections pathologiques (tableau III). Par ailleurs, lanalyse de fréquence
des durées de séjour des vaches avant leur décès a révélé que 54% de
leffectif total décédé a passé moins dune année dans les élevages, pour
respectivement 33 et 13% qui ont séjourné plus dun an et plus de deux ans dans les
exploitations.
Tableau 3: Causes
de réforme (en %) des génisses pleines importées |
||||
Région |
Besoin
de trésorerie |
Problèmes
de reproduction |
Faible
production |
Maladies |
Doukkala |
40.1 |
23.7 |
22.8 |
13.4 |
Haouz |
28.6 |
36.3 |
12.7 |
22.8 |
Tadla |
17.4 |
26.1 |
39.1 |
17.4 |
Moyenne |
31.4 |
30.2 |
19.8 |
18.6 |
Le test c2 appliqué
dune part aux proportions relatives de ventes, de décès, et de génisses gardées
dans les trois régions, et dautre part aux motifs de vente dans ces mêmes régions
a montré quil existait une relation significative entre ces paramètres (tableaux 5
et 5). Aussi, les données ont-elles été soumises à une analyse factorielle des
correspondances.
Tableau 4 : Résultats du test c2 appliqué au devenir
des génisses et à la zone dimportation |
||||
|
Devenir
des génisses (en %) |
|
||
Zone |
Revendues |
Décédées |
Gardées |
Total |
Doukkala |
12.40
(11.32)* |
2.25
(2.30)* |
19.04
(20.07)* |
33.69 |
Haouz |
16.70
(14.86)* |
3.22
(3.02)* |
24.32
(26.35)* |
44.24 |
Tadla |
4.49 (7.41)* |
1.37
(1.51)* |
16.21
(13.15)* |
22.07 |
Total |
33.59 |
6.84 |
59.57 |
100.00 |
Tableau 5: Résultats du test c2 appliqué aux motifs
de vente des génisses et à la zone dimportation |
|||||
|
Motif
de vente des génisses (en % des génisses vendues) |
|
|||
Zone |
Besoins de trésorerie |
Faible production |
Problèmes de reproduction |
Pathologies |
Total |
Doukkala |
14.83 (11.59)* |
8.72 (11.16)* |
8.43 (7.30)* |
4.94 (6.87)* |
36.92 |
Haouz |
14.24 (15.61)* |
18.02 (15.03)* |
6.10 (9.83)* |
11.34
(9.25)* |
49.71 |
Tadla |
2.33
(4.20)* |
3.49
(4.04)* |
5.23 (2.64)* |
2.33 (2.49)* |
13.37 |
Total |
31.40 |
30.23 |
19.77 |
18.60 |
100.00 |
14.83 : Proportion
observée (11.59)* :
Proportion théorique c2 =
28.2
Degrés de liberté : 6 |
Figure 1 : Répartition des effectifs
de vaches importées par classe de SAU.
Le
suivi a permis de valider les résultats généraux issus des enquêtes, puisque sur les
130 génisses initialement retenues, 21 ont disparu par mortalité et revente de novembre
98 à mai 99, soit un pourcentage de disparition de près de 16.2% en six mois.
Parmi les
descendants de léchantillon de primipares étudiées, 63.1% ont été vendus. A
peine, 45.2% des veaux femelles issues des génisses importées sont gardées par les
éleveurs pour le renouvellement. Lorsquelles ne sont pas gardées, les femelles
sont commercialisées plus jeunes que les mâles (8.2 mois contre 15.3 mois). Le taux de
mortalité par catégorie dâge, déterminé sur lensemble des produits issus
des vaches importées figurent dans le tableau 6. Les principales causes sont les
diarrhées (35.6% des cas), les pneumonies (33.7%), les dystocies (14.1%) et diverses
autres manifestations pathologiques non diagnostiquées (16.6%).
Tableau 6: Taux de
mortalité (en %) des veaux par classe dâge |
||||
|
0-24
heures |
24h
sevrage |
Sevrage-1
an |
Total |
Doukkala |
4.7 |
3.2 |
2.8 |
10.7 |
Haouz |
6.7 |
3.7 |
5.3 |
15.7 |
Tadla |
4.0 |
2.4 |
2.7 |
9.1 |
Moyenne |
5.3 |
3.1 |
3.7 |
12.1 |
Tableau 7: Moyennes (en kg) des productions
laitières de référence (305 j) et des pics de lactation des primipares importées |
||
Région |
Production
de référence |
Pics de
lactation |
Doukkala |
3724.6 ±
483.3 |
14.4 ±
3.7 |
Haouz |
3292.2 ±
506.9 |
12.3 ±
2.6 |
Tadla |
3810.1 ±
560.4 |
15.6 ±
4.2 |
Moyenne |
3562.0 ±
561.7 |
14.0 ±
3.5 |
Le taux moyen
davortement pour les 130 génisses étudiées sélève à 7.4 ± 1.3 %. Près
de 23% des vêlages étaient déclarés comme dystociques. Après la parturition, le suivi
du comportement de reproduction des vaches a montré que lintervalle moyen entre le
vêlage et la première saillie est de 104.3 ± 32.6 j, tandis que lintervalle
vêlage fécondation moyen est égal à 136.3 ± 24.8 j (tableau 8).
Tableau 8: Intervalles
vêlage - 1ère saillie et vêlage - saillie fécondante des primipares
importées |
||||
Zones |
V--1ère
Saillie (j) |
N* |
V--S fécondante (j) |
N* |
Doukkala |
97.0
±
30.4 |
41 |
132.4
±
30.1 |
32 |
Tadla |
100.1
±
30.6 |
36 |
134.0
±
21.1 |
22 |
Haouz |
113.9
±
34.1 |
47 |
140.6
±
22.0 |
41 |
Moyenne |
104.3
±
32.7 |
124 |
136.3
±
24.8 |
95 |
* N : nombre dobservations |
Le pourcentage de réussite des premières saillies n est que de
27.7%. Lindice coïtal (IC) résultant de ces observations a été calculé selon la
formule suivante :
IC = Nombre total de saillies/Nombre de saillies fécondantes
LIC moyen est de 2.41, ce qui est très
élevé par rapport aux normes pour un élevage laitier avec une fonction de reproduction
maîtrisée (tableau 9).
Tableau 9:
Réussite des saillies chez les primipares importées et indice coïtal |
||||
|
Pourcentage
de réussite |
Indice
coïtal |
||
En 1ère Ins.* |
En
2ème Ins.* |
En
3ème Ins.* et plus |
||
Doukkala |
29.0 |
29.0 |
41.9 |
2.32
±
1.15 |
Tadla |
31.8 |
22.7 |
45.5 |
2.36
±1.18 |
Haouz |
24.4 |
31.7 |
43.9 |
2.51
±1.36 |
Moyenne |
27.7 |
28.7 |
43.6 |
2.41
±1.24 |
Ins.*
: Insémination |
Dans
léchantillon de travail, les exploitations les plus petites (0 à 10 ha), qui
représentent les 2/3 de leffectif total, ne couvrent que 22% de la SAU. Elles
détiennent cependant 55.5% des génisses importées. Cette tendance des petites
exploitations à plus sinvestir dans lélevage est mentionnée dans diverses
autres études au Maroc ou dans dautres pays en développement (De Jong 1996,
Schiere 1996, Srairi et Medkouri, sous presse ). Elle est due à la diversité des rôles
quassure lélevage bovin, notamment pour les plus démunis, tels que
lépargne ou la valorisation à un moment donné dun surplus de biomasse, ou
de main-duvre familiale.
Moins de 60% des
génisses importées ne réalisent pas une carrière "normale" car vendues ou
décédées avant davoir passé trois années sur lexploitation où elles ont
été initialement reçues. Cette "réforme" est de très loin supérieure aux
normes pour un élevage laitier rentable, surtout quelle concerne des primipares, et
entraîne des pertes économiques importantes (Van Arendonk 1985). Au delà,
lanalyse des taux annuels de décès des génisses révèle une adaptation
progressive de ces bovins à leur milieu délevage. En effet, 54% de leffectif
total est décédé au cours de la première année, pour respectivement 33 et 13% au
cours des deuxième et troisième années. Un constat similaire est rapporté en Afrique
sub-saharienne (Gyawu et al 1988).
Lanalyse des
causes de disparition des génisses montre limportance des ventes (34%) par rapport
aux décès (7%). Ceci peut être expliqué par le mode de financement adopté par les
agriculteurs pour les acquérir: ils les paient moyennant un prélèvement quotidien sur
le lait quelles vont produire, sans aucun intérêt. Lachat dune
génisse représente ainsi une sorte de crédit bancaire, octroyé par la société qui
collecte et transforme le lait et qui est aussi importatrice des génisses. Cet aspect est
dautant plus important à considérer dans un contexte où les institutions
bancaires sont loin dêtre facilement accessibles aux agriculteurs (Mc Dowell 1981).
Il peut expliquer les ventes massives de génisses après leur arrivée; plusieurs
éleveurs sinscrivant sur les listes dobtention des génisses beaucoup plus
pour bénéficier dun capital animal facilement commercialisable et quils
pourront rembourser ultérieurement, que par souci réel de produire du lait.
Les résultats de
lanalyse factorielle des correspondances (AFC) montrent des différences
significatives entre régions. La région du Tadla, historiquement premier périmètre
irrigué du Maroc, se distingue des deux autres régions par un meilleur pourcentage de
génisses gardées et par des réformes surtout motivées par de mauvaises productivités
en lait, et à un degré moindre par les déboires de la reproduction. Il semble donc que
les éleveurs de cette région aient acquis un certain savoir-faire, par rapport aux
autres. Dans les Doukkala, périmètre très proche de lagglomération de
Casablanca, cest surtout le besoin en liquidités qui détermine les réformes. La
longue tradition des éleveurs de cette région dans lapprovisionnement en viandes
de la concentration urbaine de Casablanca peut expliquer les ventes massives ; certains
éleveurs ayant déclaré quils pouvaient facilement réceptionner une génisse un
jour donné et la convoyer au marché pour être abattue juste après le vêlage, car le
prix quils en perçoivent leur est favorable. Bien sûr, la supériorité du prix du
kilogramme de viande sur le marché marocain par rapport au prix dacquisition du kg
de viande des génisses est un argument décisif pour opérer ce genre de transaction.
Dans le Haouz, périmètre qui vient dêtre irrigué, et où lélevage de
bovins laitiers est nettement plus récent par rapport à une longue tradition
délevage ovin et bovin allaitant, les résultats traduisent nettement la plus
faible maîtrise de lélevage laitier. Les réformes se font ici surtout à cause de
problèmes de reproduction après le vêlage et aussi en raison dune plus forte
incidence de maladies. Il faut dailleurs mentionner que la nouveauté de
lélevage laitier intensif se conjugue, au Haouz, avec un climat plus sec et surtout
plus chaud que dans les deux autres régions. Ceci ne peut quaccroître les
difficultés dadaptation des génisses importées, car leffet négatif des
températures estivales sur la reproduction a été rapporté par divers auteurs
(Berbigier 1988).
Les taux de
mortalité des descendants des primipares importées sont de lordre de 12%, ce qui
est très supérieur à la norme tolérée pour un élevage bovin. De très importants
manques à gagner existent à ce niveau et proviennent de laccumulation de tous les
stress que subissent les bovins dorigine étrangère: changement climatique,
sous-alimentation, quarantaine au port, nouveau microbisme (Flamant 1991, Vaccaro 1990).
Par ailleurs, seules 45,2% des femelles sont conservées pour le renouvellement, ce qui
correspond à moins de 23% de la totalité des descendants de toutes les vaches
importées. Certains auteurs considèrent que ce genre de tendances constitue un sérieux
camouflet à la volonté affichée par les pouvoirs publics de favoriser le peuplement du
pays par des bovins de race plus laitière par la conservation des descendants femelles
des génisses dimportation (De Jong 1996, Guessous 1991). Sur le terrain, les
éleveurs expliquent la vente des génisses nées au Maroc par leur coût de revient trop
élevé en cas délevage jusquau premier vêlage, surtout quelles seront
concurrencées par les éternels arrivages de génisses pleines importées, après la
libéralisation du commerce extérieur, et même en labsence de toute subvention. Cependant, ce type de logique ne peut que compromettre toute
tentative de sélection dun type de bovins laitiers adapté aux conditions
délevage local (Mc Dowell 1981).
Le suivi
délevage montre une moyenne de production laitière par lactation de référence de
3562.0 ± 167.1 kg. Au delà des différences régionales qui confirment les observations
de lenquête rétrospective (supériorité de la zone du Tadla par rapport aux
Doukkala et au Haouz), cette moyenne indique clairement une sous-exploitation du potentiel
de production des primipares importées. Elle est environ de moitié inférieure aux
exigences stipulées par le cahier des charges instauré par les importateurs au Maroc, et
qui fixe à 6000 kg par lactation les aptitudes laitières des génisses introduites dans
le pays (MADRPM 1999). Cette performance est cependant proche des résultats relatifs à
la productivité des bovins laitiers dorigine européenne en zone tropicale,
évalués chez des petits éleveurs (De Jong 1996, Gyawu et al 1988, Lafi et al 1995, Mbap
et Ngere 1989, Msanga et al 2000). Elle prouve que diverses limitations environnementales
(alimentaires et sanitaires notamment) sopposent à une productivité optimale qui
permette de tirer profit du sacrifice économique pour les petits éleveurs, consenti lors
de ces importations de bétail laitier. De même, lévaluation des indices de la
reproduction des vaches pie-noires importées confirme la mauvaise gestion de ces
élevages. Ainsi, en moyenne plus de 43% des primipares ont nécessité 3 inséminations
et plus pour être fécondées, ce qui aboutit à un intervalle vêlagesaillie
fécondante de 136,3 j, très supérieur aux 90 j optimaux. Il faut en outre préciser que
ce paramètre na été calculé que pour les primipares gardées et il ne reflète
donc que par défaut lampleur du problème. En effet, pour les cas les plus
problématiques (retours en chaleurs très tardifs, au delà de 150 j après le vêlage),
les éleveurs procèdent à la réforme, ce qui explique les 16% de génisses disparues au
cours du suivi. Une tendance similaire est constatée par
de nombreuses publications dans dautres pays, et elles mettent toutes en exergue la
part prépondérante des échecs de la reproduction dans les contre-performances du
bétail laitier importé des pays tempérés (De Jong 1996, Mbap et Ngere 1989, Parmar et
Gill 1988).
Berbigier P 1988 Bioclimatologie des ruminants domestiques en
zone tropicale. INRA, Paris, 237 pp
Boujenane I et Ayari N 1997 Prédiction de la production
laitière par lactation de référence des vaches à partir des lactations partielles,
Actes Institut Agronomique et Vétérinaire (Maroc) 18: 2329.
Bourbouze A, Chouchen A, Eddebbarh A, Pluvinage J
et Yakhlef H 1989 Analyse comparée de leffet des
politiques laitières sur les structures de production et de collecte dans les pays du
Maghreb. In:"Le lait dans la région méditerranéenne" Séries Séminaires. 6: 247258
Combellas J, Martinez N and Capriles
M 1981
Holstein cattle in tropical areas of Venezuela. Tropical Animal Production 6 214 220
De Jong R
1996 Dairy
stock development and milk production with smallholders. Doctoral Thesis. Wageningen
University. The Netherlands. 308 pp
Flamant J C 1991 Problems associated
with the transfer of genetic material from temperate to warm Mediterranean regions :
consequences on the equilibration of the animal production systems, in : Ronchi B.,
Nardone A., J.G. Boyazoglu (Eds), Animal husbandry in warm climates, Wageningen Pers.
EAAP Publication n° 55, Wageningen, The Netherlands, pp. 48 54
Guessous F 1991 Production fourragère et systèmes animaux,
Actes Editions, Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II, Rabat, Maroc.108 pp
Gyawu P, Asare K, Karikari P K 1988 The performances of
imported Holstein friesian cattle and their progeny in the humid tropics. Bulletin of
Animal Health and Production Afr, 6 362 366
Lafi S Q, Al Rawashdeh O F, Hailat N
Q, Fathalla M A R 1995 Reproductive and
production performance of Friesian dairy cattle in Jordan. Prev. Veterinary Medicine. 22:
227 234
Lakhdissi H, Lahlou-Kassi A, Thibier M 1988 Conduite de la reproduction en
grands troupeaux laitiers dans les conditions marocaines. I. Influence du programme
daction vétérinaire intégré de reproduction sur les bilans de fertilité, Revue
d'Elevage et de Médecine Vétérinaire des Pays Tropicaux 41: 293 299
MADRPM (Ministère de lAgriculture du
Développement Rural et des Pêches Maritimes) 1998 Résultats du Recensement Général de
lAgriculture, Direction de la Planification et des Affaires Economiques, Rabat,
Maroc
MADRPM (Ministère de lAgriculture du
Développement Rural et des Pêches Maritimes) 1999 Lélevage bovin laitier au Maroc.
Direction de lElevage, Rabat, Maroc
Mbap S T and Ngere L O 1989 Productivity of
friesian cattle in a subtropical environment, Tropical Agriculture. 66 121124
Mc Dowell
R E 1981
Limitations for dairy production in developing countries. Journal of Animal Science. 64
2463 2475
Msanga Y N Bryant M J Rutam I B Minja F
N Zylstra L 2000 Effect of
environmental factors and of the proportion of Holstein blood on the milk yield and the
lactation length of crossbred dairy cattle on smallholder farms in north-east Tanzania.
Tropical Animal Health and Production. 32 : 23 - 31
Ørskov E R 1993 Reality in rural
development with emphasis on livestock. Ed. Rowett Research Services Ltd., Aberdeen
Parmar O S and Gill G S 1988 Comparative
performance of imported and farmbred Holstein friesian heifers during first lactation. J. Res. Punjab Agricultural
Univiversity. 25: 619 620
Roeleveld A C W et Van
Den Broek A 1999 Les systèmes délevage : orienter la recherche. Institut
Royal des Tropiques, Amsterdam, 165 p
Schiere J B 1996 Cattle, straw and
system control. Doctoral Thesis. Wageningen University. The Netherlands, pp.
308
Sraïri M T et Kessab B 1998 Performances et modalités de
production laitière dans six étables spécialisées au Maroc, INRA Productions Animales.
11 321 326
Sraïri M T et Medkouri H (sous presse) Production et écoulement du
lait en région dagriculture pluviale au Maroc. Tropicultura (Bruxelles)
STATITCF® 1991 Institut technique des céréales et des
fourrages, Paris
Talha L 1994
Croissance,
crise et mutations économiques au Maghreb, in : Bichara K (Ed.), Alternatives
Sud : Ajustement structurel au Maghreb, vol. II (3), Louvain La Neuve, pp. 27
80
Vaccaro L P 1990 Survival of
European dairy breeds and their crosses with zebus in the tropics. Animal Breeding
Abstracts. 58 475 494
Van
Arendonk J A M 1985 Studies on the
replacement policies in dairy cattle. IV. Influence of seasonal variation in performances
and prices. Livestock Production Science. 14 15 28
Received 17
February 2000